Avez-vous
déjà participé à une Constellation Familiale ? Mise au point il
y a une trentaine d’années par Bert Heilinger, qui fut d’abord
pasteur allemand et vivait en contact avec des cultures traditionnelles
d’Afrique du Sud, elle a été adoptée par de nombreuses écoles
psy. Curieusement, cette méthode a une forme jumelle, inventée
vers la même époque par Alexandro Jodorowsky - comme l’explique
Rupert Sheldrake, les idées peuvent spontanément jaillir dans
plusieurs esprits à la fois ! Le principe est simple. Quand vient
votre tour (1), vous
choisissez plusieurs personnes dans le groupe (c’est une thérapie
groupale) pour représenter chacun des membres de votre famille
(ou de votre entreprise, ou de la communauté à laquelle vous appartenez
et où se pose le problème pour lequel vous êtes là). Sans rien
leur dire de vous, vous placez ces personnes à votre guise, debout,
les bras ballants, dans le cercle formé par les participants.
Vous agissez toujours “au feeling”, dans un état semi-somnambulique,
en ne pensant à rien, juste vigilant à ce qui se passe en vous.
Puis vous vous asseyez et écoutez le psy “constellateur” interroger
chacune des personnes de la “constellation” ainsi formée. Aussi
fou que cela puisse paraître, ces personnes, qui ne savent rien
de vous ni de votre famille ou de vos ancêtres, se mettent à répondre
des choses tout à fait en rapport avec votre situation, votre
vie, votre arbre généalogique. Invité par l’un des participants
d’un tel atelier à représenter son père (cela aurait pu être son
frère, ou son fils, ou même sa mère ou sa femme, les vecteurs
de l’expérience s’avérant androgynes), nous nous sommes mis à
ressentir des sensations, des émotions, à prononcer des paroles,
à commettre des gestes, à exprimer des demandes que nous ne contrôlions
pas et qui participaient d’un ensemble interactif impliquant quatre,
cinq,
six, jusqu’à vingt personnes dans un état similaire au nôtre,
le tout prenant un sens aigu (dans son récit ultérieur) pour le
sujet dont nous “constellions” (verbe transitif) la problématique,
vers une issue si possible harmonieuse... Le champ ainsi ouvert
est extrêmement surprenant, comparable à rien d’autre. Une chose
est sûre : l’intellect n’intervient pas, ou pas de façon motrice,
c’est quelque chose de beaucoup plus profond. Bert Heilinger parle
d’une communication « d’âme à âme »…
Bert
Hillinger. DR.
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Nouvelles
Clés : Vous étiez d’abord prêtre, en Afrique n’est-ce
pas ? Comment êtes-vous devenu psychothérapeute ?
Bert Hellinger : J’ai effectivement dirigé pendant seize
ans un ordre missionnaire chez les Zoulous en Afrique du Sud…
et je m’imaginais que ce serait pour la vie. J’ai ensuite été
muté en Allemagne, pour diriger des séminaires de prêtres. Cela
m’a donné l’occasion d’organiser des ateliers de travail avec
des techniques de dynamique de groupe. Et, petit à petit, je me
suis aperçu que ma voie était ailleurs que dans la prêtrise.
N. C. :
Y-a-t-il eu un événement qui a tout déclenché, un « déclic »
?
B. H. : En 1971, j’assistais à un congrès de psychanalystes.
La séance a été dérangée par un groupe de hippies, très bruyant.
Une thérapeute américaine du nom de Ruth Cone est alors intervenue,
réussissant à gagner à sa cause le groupe de perturbateurs et
à les calmer. Elle développait une méthode particulière d’interaction,
qui consistait à lancer un thème dans un groupe et le laisser
se développer… Selon cette méthode, un groupe de travail s’est
mis en place après l’incident avec les hippies ; j’y ai participé.
Ruth Cone nous a alors exposé les bases d’une technique dont j’ignorais
encore tout : la « gestalt ». Je me suis retrouvé confronté à
mon passé et il m’est apparu clairement que je devais quitter
ma fonction de prêtre. À la fin de la session, j’ai parcouru le
cercle des participants en disant : « Je m’en vais. » Quelques
mois plus tard, je l’ai fait. J’ai rencontré ma femme, commencé
une psychanalyse et mon travail dans le champ des thérapies a
vraiment débuté. J’avais 45 ans.
N. C. :
Vous avez alors mis au point « la constellation familiale
», une thérapie originale. Comment l’avez-vous conçue au départ
?
B. H. : Avant de pouvoir la concevoir, j’ai exploré différents
types de thérapies et notamment la thérapie primale, qui aborde
l’être humain dans sa dimension de corps/émotions. Elle vise à
provoquer la résurgence d’émotions refoulées, à revivre de façon
consciente les scènes traumatiques censurées. Une fois libéré
du souvenir de certains évènements douloureux, je me suis ensuite
tourné vers l’analyse transactionnelle. Le psychiatre américain
Eric Berne, son fondateur, affirme que les échanges, les transactions
que nous effectuons avec notre environnement révèlent notre «
scénario de vie ». Peu à peu, je me suis rendu compte que les
patients ne vivent pas toujours leur script personnel… Parfois,
ils reproduisent celui d’un membre de leur famille. En d’autres
termes, nos aïeux se mêlent de notre destin ! Je me souviens d’un
homme qui était fasciné par l’Othello de Shakespeare. Au cours
d’une séance, il m’en révèle la raison. En référence à sa passion
pour Othello, je lui demande : « Qui a tué par jalousie ? » Il
me répond : « Mon grand-père ! »Vous avez là un premier point
essentiel : mon travail sur les Constellations Familiales met
en évidence une identification inconsciente à une personne aimée
et importante, en l’occurrence, le grand-père.
N. C. :
D’où vient le terme de constellation ?
B. H. : C’est un raccourci de traduction. Il serait préférable
de garder la traduction littérale du mot allemand et de parler
de « poser la famille dans l’espace ». Car pour former une constellation
familiale, on « pose » effectivement les différents membres de
la famille dans l’espace, sur une scène, les uns en rapport avec
les autres. Un peu comme les étoiles dans le ciel sont reliées
entre elles.
N. C. :
Racontez nous donc comment se déroule une thérapie de constellation
familiale.
B. H. : Premier point important : c’est un travail de groupe.
J’officie en public, dans une grande salle. Le « constellé »,
celui qui a un problème à résoudre, accepte de monter sur une
scène et je vais littéralement « mettre en scène » son problème,
en introduisant autour de lui des personnes qui représenteront
des membres de sa famille. Il s’agit bien souvent des parents,
des frères et des sœurs… et parfois du patient lui-même lorsqu’il
était enfant. Il choisit dans le public les personnes qui incarneront
ses proches. Evidemment, elles ne connaissent rien de l’histoire
du patient ni celle de sa famille. Une fois les rôles attribués,
sur scène, le patient place chacun à un endroit précis, selon
son « feeling ». La personne qui représente la mère fait par exemple
face à celle qui représente le fils, ce dernier tourne le dos
à sa “sœur”, etc. Le patient détermine l’orientation de leur regard,
la distance des uns par rapport aux autres, et ce, de manière
totalement spontanée. Puis il se met à l’écart et observe silencieusement.
N. C. :
Ce que vous nous décrivez rappelle certaines pratiques mises
au point par Alexandro Jodorowsky et surtout la Sculpture familiale,
cette thérapie développée en 1942 par Virginia Satir, qui était
psychothérapeute dans le groupe de recherche du « Mental Research
Institute » de Paolo Alto, aux Etats-Unis…
B. H. : Pourtant, il existe de grandes différences… Tout
d’abord, dans la thérapie de Sculpture familiale, les protagonistes
sont les membres de la famille réelle. Ensuite, le patient place
les différents individus en relation les uns avec les autres et
il leur attribue une attitude particulière.
Il demande à certains de se tourner, de lever une jambe… Bref,
il « sculpte » la personne, exerce une véritable influence. Dans
le cadre d’une constellation, l’intervention du sujet est minimale.
Quant aux membres de sa constellation, ils sont tous « posés »
dans l’espace d’une façon très intuitive. Rien n’est indiqué,
il n’y a pas de consigne. C’est seulement à partir de là que la
mécanique se met en branle, que les acteurs involontaires se mettent
à jouer un script qui n’est pas le leur, mus par une force intérieure
: celle de la famille du constellé.
N. C. :
Lorsque vous mettez en scène une constellation, quel type
de phénomène se produit exactement ?
B. H. : Pour la constellation, on vérifie très facilement,
de façon à la fois sensorielle et émotionnelle, que les personnes
choisies pour incarner les membres de la famille du patient se
« sentent » vraiment comme leurs représentants. Elles ne
comprennent pas pourquoi, mais elles sont concernées. Parfois,
elles adoptent même intuitivement la voix de celui ou de celle
qu’elles incarnent, son vocabulaire, sa gestuelle, ses tics… Alors
qu’il s’agit de gens qu’elles n’ont jamais rencontrés !
Une fois que la constellation est en place sur scène, c’est-à-dire
une fois que chaque personne se trouve plongée dans cet état de
conscience particulier, les « membres de la famille » vont manifester
des réactions très différentes… tout dépend du rôle que l’on s’est
vu assigné. Certains peuvent éprouver des sensations de chaud,
ou de froid, ou d’étouffement, ou une envie de bouger, ou de se
coucher sur le sol, des douleurs précises apparaissent… En règle
générale, tous se trouvent atteints des symptômes des personnes
qu’ils représentent - en situation réelle ! Ils deviennent un
peu comme des marionnettes, possédés par les personnages qu’ils
incarnent. C’est souvent très spectaculaire. La notion de champs
morphogénétiques développé par Rupert Sheldrake peut aider à comprendre
ce phénomène. Je vous rappelle que cette théorie suppose qu’un
savoir collectif est accessible à n’importe quel individu et qu’il
peut se former dans un groupe donné. C’est une hypothèse qui fait
évidemment l’objet de controverse (2).
N. C.
: Voilà donc une constellation mise en place sur la scène
autour du patient : quel est alors votre rôle ?
B. H. : La construction de cette première constellation
reflète la façon dont le patient perçoit actuellement la situation.
La place qu’y prennent les représentants, leurs réactions, permettent
de discerner les intrications en présence. Celui qui mène la constellation
parvient alors facilement à sentir quel serait le « pas suivant
» qui serait décisif.
N. C. :
Le “pas suivant” ?
B. H. : Admettons qu’à un moment donné, sur la scène, se
trouve une personne qui représente la mère du patient et qu’en
face d’elle, quelqu’un d’autre représente le père. Admettons que
celui qui représente le patient lui-même, c’est-à-dire le fils,
se vienne se placer juste entre ces deux personnes et regarde
droit devant lui, immobile. Dans ce cas de figure, on peut « ressentir
», par exemple, que le fils, en se plaçant là, entre ses parents,
leur permet de ne pas se regarder. Mais voilà que je sens qu’il
veut partir, que cette situation ne lui convient pas. J’induis
alors un mouvement, en lui suggérant d’avancer de trois pas. Il
accepte. Et tout de suite, il me dit qu’il se sent mieux. La situation
évolue. J’essaye toujours de déterminer quels autres personnages
devraient être intégrés au système de la constellation, ceux qui
sont évidents (par exemple tel grand-parent), ceux dont le patient
m’a parlé (je sais par exemple qu’il a deux sœurs), mais aussi
ceux qui ont pu être exclus au cours des générations et dont l’absence,
là aussi, peut soudain être fortement « ressentie »… par le thérapeute
qui mène la constellation, ou par l’un des représentants en scène.
Un phénomène d’imprégnation opère, les réactions de chacun s’enchaînent
à celles des autres. À l’aide de phrases libératrices et de diverses
marques de reconnaissance et de respect, ceux qui ont été exclus
- et demeuraient tels des fantômes - peuvent être révélés et reconnus.
Chacun retrouve la place qui lui revient…
N. C. :
Mais comment pouvez-vous être sûr de savoir quel personnage
est important pour dénouer le nœud ou l’un des nœuds du problème
?
B. H. : Ce sont des intuitions, ou plutôt des perceptions.
Je ne fais pas preuve d’imagination, j’ai plutôt accès à un certain
nombre d’informations grâce aux attitudes des personnages, à leurs
réactions, à leurs mimiques, à leurs paroles aussi, car ils peuvent
très bien avoir envie de dire quelque chose. Le thérapeute s’appuie
sur ce qu’il sent ou plus exactement, sur ce qu’il perçoit. C’est
une perception phénoménologique.
N. C. :
C’est-à-dire…
B. H. : À mon sens, la méthode des constellations familiales
est une psychothérapie phénoménologique, c’est-à-dire non régie
in situ par une élaboration théorique. La phénoménologie est une
approche philosophique qui ne s’appuie pas forcément sur la verbalisation.
Cette perception phénoménologique constitue l’outil essentiel
du thérapeute en constellation. Notre attention subliminale, subconsciente,
s’y entend pour débusquer toutes sortes d’informations, même anodines,
qui émergent de la constellation et elle nous permet de les interpréter
intuitivement. Mais du coup, il n’est pas facile de définir le
lien hors-norme qui s’établit entre le constellateur et le groupe
qu’il anime. Cette pratique exige une présence, une écoute particulière,
en l’occurrence dépourvue de toute intention préconçue quant à
ce qui se manifestera lors de la constellation. Seule prime la
perception immédiate de la situation. J’entrevois ce qui ne fonctionne
pas dans l’ordre existant. Pour cela, je m’appuie sur mes perceptions
et mon expérience. Dans cet exercice, le thérapeute n’a pas de
but défini. Il reste concentré, ou plutôt centré, ouvert à ce
qui va se passer. Il ne sait pas où il va aller… Il s’expose aux
phénomènes comme ils viennent. Il ne doit pas avoir peur de ce
qui va apparaître, ni se montrer critique, bien sûr. Deux éléments
qui peuvent perturber la perception. C’est vraiment dans l’esprit
du tao : le plus présent possible, mais en total lâcher-prise
et sans intention. L’important dans les constellations est uniquement
ce qui est mis en lumière. C’est la réalité émergeante de la situation
mise en scène qui agit, et non le thérapeute. Ce dernier ne manipule
personne, il n’intervient pas, il est uniquement au service de
cette réalité.
N. C. :
Précisons : la constellation n’est-elle en aucun cas comparable
à un jeu de rôles ?
B. H. : Non, dans la mesure où il n’y a aucun rôle à jouer
: il s’agit d’être très attentif et présent, mais sans la moindre
volonté. Le gens qui pratiquent la méditation zen me comprendront
facilement : il s’agit de se mettre dans l’attitude d’un méditant,
mais qui, au lieu de rester ouvert à l’Inconnu dans sa dimension
absolue, resterait ouvert aux autres et à ce qui se passe autour
de lui. C’est une sorte de méditation « orientée ». Il est nécessaire
que cette attitude soit globalement bienveillante - dans l’esprit
de la compassion des bouddhistes : orientée vers les autres. Mais
il n’est pas question de vouloir quoi que ce soit, même pas de
vouloir guérir. Ces niveaux psychiques supérieurs doivent être
mis totalement hors-circuit. Il s’agit juste d’être là, d’observer
ce qui se passe et, éventuellement, de l’exprimer.
N. C. :
Comment le thérapeute sait-il si ses perceptions sont justes
ou non ?
B. H. : Il suffit d’être « présent », attentif à ce qui
se passe. Si l’on attend suffisamment, les paroles ou les actes
s’imposent comme des fulgurances. On sait que c’est cela qu’il
faut faire ! Lorsque je choisis quelqu’un, que je le positionne
ensuite dans l’espace par rapport aux autres, je ne sais pas exactement
pourquoi je le fais. C’est intuitif. Je le sens. En quelque sorte,
le thérapeute met en place les pièces d’un puzzle sans savoir
ce que l’image représente. C’est en cours de route - voire à la
fin - que tout s’éclaire ! La solution apparaît lorsque toutes
les personnes placées se sentent bien là où elles se trouvent.
N. C. :
Comment savez-vous qu’une constellation est réussie ?
B. H. : C’est ce que je viens de vous dire : lorsque tous
les membres de la constellation semblent à leur place, détendus,
le visage rayonnant. Tous. Tant qu’un seul membre de la constellation
ne se sent pas à son aise, c’est que l’on n’a pas abouti.
N. C. :
Combien de temps faut-il pour arriver à ce résultat ?
B. H. : Une séance dure environ une demi-heure, selon la
complexité des intrications, bien sûr. Mais il est inutile de
la prolonger indéfiniment. Tout d’abord, passé un certain temps,
la concentration des participants chute. Ensuite, au bout de ce
temps, si la situation ne s’éclaircit pas, c’est que nous nous
trouvons face à un blocage. Encore fois, le thérapeute intervient
très peu… Par conséquent, si la situation ne se dénoue pas, si
cela n’avance pas, c’est cette réalité-là qui est à prendre en
compte. Mais, vous savez, réaliser qu’il y a blocage peut être
très utile au patient. Cette prise de conscience peut enclencher
chez lui le début d’un processus.
N. C. :
Il se peut donc fort bien que l’exercice d’une constellation
soit un échec, qu’elle n’aboutisse pas. Qu’est-ce que cela peut
signifier ?
B. H. : Je me souviens du cas d’une patiente qui, au cours
d’une constellation, avait claqué la porte de la séance, très
en colère. Elle m’a confié que quelques heures plus tard, au volant
de sa voiture, une émotion l’avait submergée. Elle s’est mise
à pleurer et a été obligée de s’arrêter en bordure d’une forêt.
C’est là que, tout d’un coup, elle a pris conscience de son vrai
problème et de ce qui lui restait à faire pour le résoudre. La
constellation avait fait son chemin en elle. N’oublions pas qu’avoir
un objectif de réussite ou de guérison implique beaucoup de volontarisme.
Or, la volonté pure peut contrarier le bon déroulement d’une séance.
N. C. :
Mais si la guérison n’est pas l’objectif de la constellation,
quel est-il ?
B. H. : La constellation remet de l’ordre dans le système
familial, elle « réinjecte » de l’harmonie en resituant chacun
à sa place en rapport avec les autres. Pour que vous compreniez
mieux, prenons une image et comparons le système familial à un
“mobile” de Calder. Chacun de ses éléments a une place définie,
qui participe à l’équilibre de l’ensemble. Si l’un d’entre eux
devait être exclu, tout le mobile se mettrait à vaciller. Tous
les éléments sont donc liés et s’influencent mutuellement. Le
but du travail de constellation consiste donc à mettre à jour
les dynamiques et les déséquilibres cachés. L’exclusion en est
une : si un membre de la famille est exclu ou oublié, si les autres
membres de la famille refoulent son existence, tout le système
familial subit une pression, parfois énorme, en général inconsciente,
qui ne se relâchera que lorsque cette perte sera compensée.
N. C. :
Comment cela se traduit-il concrètement sur scène ?
B. H. : Prenons l’exemple de Paul. Il a 14 ans et éprouve
des difficultés à travailler en classe.
De plus, il a une tendance suicidaire. Dans la constellation que
nous avons mise en scène pour lui, “il” (en fait son représentant)
se tient debout, à côté de son “professeur”, en face de ses “parents”.
Le petit garçon paraît triste. Je le lui dis. Cela déclenche des
larmes, bientôt suivies par celles de sa mère. Je sens que ce
n’est pas sa tristesse qu’il porte, mais celle de sa mère.
Il doit y avoir un événement dans sa famille, à elle, qui l’a
rendue triste. Je lui pose la question. Elle dit alors que sa
sœur jumelle est morte à la naissance. Un événement qui avait
été mis entre parenthèses dans la famille (et qui s’avèrera exact
dans l’histoire de la vraie mère. Comprendre comment une telle
information a pu surgir dans la conscience de la personne qui
représentait la mère dans la constellation est un beau défi pour
la science, mais n’est pas notre problème à cet instant !). Cette
sœur avait été oubliée et tout le monde, dans un accord tacite,
une convergence de non-dits, se comporte comme si ce drame n’avait
jamais eu lieu, comme si cette petite fille n’avait jamais existé.
Quand un tel drame arrive, sous la pression de la conscience du
clan, quelqu’un va être choisi pour représenter, dans la vie,
cette personne disparue. Et la plupart du temps, l’exclusion sera
compensée par l’un des enfants. Ce dernier, en l’occurrence Paul,
s'identifie alors à la personne exclue. Il exprime des sentiments
qui ne sont pas les siens, adopte des comportements et développe
des symptômes qui indiquent que quelque chose ne va pas.
N. C. :
Et que se passe-t-il quand l’exclu réclame sa place ?
B. H. : Dans le cas présent, il y avait visiblement un
manque : la sœur jumelle de la mère ne figurait pas dans la constellation.
J’ai donc décidé de la réintroduire et j’ai choisi une personne
pour la représenter. C’était le premier pas pour remettre de l’ordre.
Je lui ai fait tourner le dos au reste de la famille pour marquer
qu’elle n’en faisait pas partie à ce moment-là. La personne qui
représentait la mère s’est alors déplacée pour aller derrière
sa sœur jumelle. Cette réaction révèlait une dynamique cachée
: l’attitude de la mère montrait clairement qu’elle désirait suivre
sa sœur dans la mort. Elle le faisait avec amour. Comment se sentait-elle
à cette place ? J’ai posé la question. « Mieux », m’a répondu
la “mère”, confirmant ainsi son désir inconscient de suivre sa
sœur dans l’au-delà.
N. C. :
Vous avez su cela uniquement parce que la mère s’était placée
derrière sa sœur disparue ?
B. H. : C’est une dynamique très fréquente dans les constellations.
« Je te suis » signifie qu’une personne se sent poussée à marcher
dans les pas d’un autre membre de son système. Et, bien souvent
, pour être plus précis, c’est « je te suis dans ta maladie »
ou «je te suis dans la mort».
N. C. :
Existe-t-il d’autres dynamiques où une personne subit l’histoire
d’une autre ?
B. H. : Je poursuis mon exemple. J’ai remis la mère à sa
place initiale et je l’ai remplacée par son fils, derrière la
sœur exclue. Aussitôt, le garçon représentant Paul affirme : «
Je me sens mieux ! » Une deuxième dynamique, conséquence directe
du « je te suis », apparaît donc. Maintenant, c’est le « plutôt
moi que toi ! » Quand Paul occupe la place de sa mère, que se
passe-t-il ? Il sent qu’elle a le désir de mourir et il lui dit
: « Je meurs pour toi. » Lorsque l’un des parents est en quelque
sorte « aspiré » hors de la famille pour des raison systémiques,
c’est-à-dire qu’il tente de rejoindre un membre de la famille
décédé, les enfants le ressentent inconsciemment. En prenant la
décision du « plutôt moi que toi », l’enfant se met au service
de sa famille, se sent en harmonie avec elle et accomplit avec
bonne conscience sa mission.
N. C. :
À partir de là, comment la constellation de Paul a-t-elle
évolué ?
B. H. : À partir de là, j’ai déplacé la sœur jumelle à
côté de la mère : elle était donc à nouveau reçue dans la famille.
Elle faisait à nouveau partie du clan. J’ai ensuite déplacé le
jeune garçon jusque devant ses parents. Sa mère lui a dit : «
Maintenant, je reste. » Il n’avait donc plus besoin de faire quoi
que ce soit pour sa mère, ou plutôt à la place de sa mère. Par
conséquent, il a été libéré. C’était la solution ! Jusque-là ,
ce garçon voulait inconsciemment se suicider à la place de sa
mère. Le pire était qu’il se sentait bien dans ce rôle qui n’était
pourtant pas le sien. Il aurait pu franchir le pas un jour, et
passer à l’acte en ayant bonne conscience, parce qu’il l’aurait
fait à la place de sa mère. On ne peut pas sauver quelqu’un tant
qu’il est convaincu de prendre des décisions justes et n’éprouve
aucun sentiment de culpabilité : inconsciemment, il suit les règles
du groupe, en l’occurrence sa famille. Comme vous le devinez,
ce sentiment est fonction de l’appartenance au groupe : on a la
certitude d’y avoir sa place. C’est une des grandes lois familiales.
N. C. :
Le simple fait de se sentir appartenir à un groupe nous disculpe
des toutes les actions qu’on entreprendra en son nom, pour sa
cohésion, pour sa survie ?
B. H. : C’est cela. Lorsque le sentiment d’appartenance
est clair, on fait sienne la conscience du groupe, en l’occurrence,
de la famille - la famille est le groupe le plus fort, mais ça
peut aussi être une bande, une armée, une communauté, un parti,
une association, un syndicat, un gang... auquel nous prêtons allégeance
et dont les valeurs deviennent les nôtres. A contrario, lorsque
nous éprouvons la crainte de ne plus appartenir à ce système,
nous avons mauvaise conscience. L’aspiration à appartenir au groupe
constitue, dans des couches très profondes de l’inconscient, le
principal moteur de nos agissements. Ma conscience, c’est le groupe
; c’est lui qui décide pour moi ce qui est bon ou mauvais.
En réalité, la bonne conscience est un besoin infantile. Enfants,
nous avons tous éprouvé le profond besoin de nous sentir regardés,
acceptés et approuvés par nos parents. Car ce qui pourrait nous
arriver de pire était de nous retrouver exclus de notre famille.
C’est pourquoi la force d’allégeance qui nous relie à elle est
si colossale : pour n’être pas exclu et pouvoir survivre dans
le regard de nos parents, nous sommes prêts littéralement à tout
- et même, paradoxalement, à mourir ! Au stade de l’enfant, j’affirme
que le moteur de ce processus est de l’amour pur. Cependant, à
l’âge adulte, il nous faut nous libérer de ce regard que nos parents
portent sur nous. Car il ne s’agit alors plus d’amour mais d’un
mélange de peurs et d’habitudes. Évidemment, nous libérer ainsi,
c’est courir le risque de nous engager sur une voie non conforme
aux idéaux de nos parents, et ainsi de porter atteinte à leur
amour propre. Cette libération s’accompagne donc souvent d’un
sentiment de mauvaise conscience. Je dirais même qu’à un certain
niveau, aucune progression dans l’accomplissement de soi ne peut
s’effectuer sans une certaine mauvaise conscience.
La mauvaise conscience nous habite aussi lorsque nous avons le
sentiment d’une dette trop grande vis-à-vis de notre groupe de
référence, notamment une dette que nous ne pouvons pas payer à
nos « ancêtres ». Ainsi, ai-je rencontré beaucoup de juifs survivants
des camps de concentration, qui vivaient dans une continuelle
culpabilité vis-à-vis de tous ceux qui n’avaient pas survécu.
Ils se comportaient comme s’ils refusaient de vivre. C’était leur
façon - absurde mais compréhensible - de payer leur dette. Et
cela apporte à notre constellation une lumière supplémentaire
: tous les échanges doivent y être équilibrés : si j’ai reçu,
je dois rendre ; si je donne, je dois recevoir en échange. C’est
comme ça. Je ne peux que le constater. La loi des équilibrages
est absolument incontournable. Je peux très bien, au nom de mon
idée propre de la “liberté”, déroger à toutes les règles de l’appartenance
groupale ; mais je dois alors savoir qu’en aucun cas, je ne pourrai
ensuite me soustraire - et soustraire mes descendants - au nécessaire
rééquilibrage, éventuellement très violent, de ce détournement.
En ce sens, je trouve ridicule de limiter la thérapie transgénérationnelle,
comme certain le font, au fait de s’arracher à son destin généalogique,
de s’en libérer, de couper en quelque sorte les racines, qui ne
seraient que des entraves. Selon moi, la libération de la personne
passe au contraire par la reconnaissance de ses liens ancestraux.
Nier ceux-si, les détester, insulter ses parents et ses ascendants,
les battre en pensée, donner libre cours à tous les sentiments
négatifs que nous nourrissons à leur égard, tout cela ne peut
conduire qu’à une chose : nous culpabiliser à un niveau inconscient,
et nous amener à nous en punir.
N. C. :
Revenons à l’objectif d’une constellation. Il s’agit de rétablir
un ordre dans le système familial…
B. H. : Effectivement, car chaque tragédie familiale repose
sur une transgression des lois qui régissent ce système. Je vous
ai déjà présenté une de ces lois : le sentiment d’appartenance
et ses digressions. Lorsqu’un membre de la famille a été exclu,
expulsé, il se passe forcément que quelqu’un, plus tard, se sentira
inconsciemment impliqué dans le destin de l’exclu et reprendra
l’exclusion à son compte… sans la comprendre - à moins d’effectuer
la démarche d’une thérapie transgénérationnelle.
La seconde loi systémique familiale concerne la préséance : chacun
doit avoir sa place, selon une hiérarchie chronologique bien définie.
Cet ordre n’a rien de qualitatif. Il signifie simplement que les
parents passent avant les enfants, et les aïeux, ou ascendants,
avant leurs descendants. Ils ont donc un avantage sur eux. Personne
ne peut se mêler des affaires de quelqu’un qui était là avant
lui, sans que cela crée un désordre. Le cas du fils qui veut mourir
à la place de la mère illustre bien ce propos, car il se mêle
des affaires de sa mère. J’ai remarqué que toutes les tragédies
empruntaient le même chemin : un descendant se mêle des affaires
d’un aïeul, et cela avec bonne conscience. Mais la pression de
la conscience du clan le fait échouer.
N. C. :
Bonne conscience, mauvaise conscience, conscience de clan
: mais toute cette “conscience” est en réalité inconsciente !
Comment fonctionne, selon vous, celle du clan ?
B. H. : En fait, c’est assez simple. Dites-vous bien, primo
qu’il existe indéniablement une conscience de groupe ; secundo
que la conscience veille sur la mémorisation des données. Quelle
que soit la nature des échanges entre humains, ceux-ci sont toujours
guidés par une bonne ou une mauvaise conscience. C’est ce qui
nous pousse à nous mêler des affaires de nos aïeux et à déroger
à la règle. Lorsqu’on sait cela, on peut diriger sa conscience
personnelle de manière à se mettre en harmonie avec la conscience
du clan. Il est vrai que la conscience personnelle n’a pas le
même but que la conscience du clan - que j’aime parfois appeler
« l’âme collective. » Cette dernière peut être décrite comme une
force, un principe qui nous pousse inexorablement à rechercher
l’harmonie groupale, à rétablir l’équilibre collectif. La conscience
de clan dépasse l’individu et veille à ce que personne ne soit
exclu. Même si l’exclusion d’un membre semble justifiée d’un point
de vue rationnel, la conscience de clan ne le tolèrera pas et
poussera la famille à réagir comme s’il s’était produit une injustice
qu’elle doit expier. Pour que tout rentre dans l’ordre, il faudra
donc impérativement que celui qui a été exclu retrouve sa place,
au besoin sous la forme d’un sustitut.
N. C. :
Une sorte de mémoire conservatrice qui cherche à ce que la
figure première demeure, à ce que tout le monde reste à sa place
!
B. H. : Oui, c’est ce que j’appelle « l’intrication systémique
». Il arrive parfois que la fille tienne le rôle de la mère de
sa propre mère, notamment si celle-ci est malade ou dépressive.
La fille se place donc au-dessus de sa mère. Mais cela constitue
un vrai délit dans la conscience collective, car les rôles sont
inversés, et cela engendre des problèmes psychologiques pour les
individus de la famille. Or ce qui est extraordinaire c’est que
l’ébranlement d’un système familial peut se ressentir sur plusieurs
générations. Une jeune fille peut se trouver déstabilisée et endosser
le sentiment de culpabilité d’une de ses arrière grands-mères,
qu’elle n’a jamais connue et dont personne ne lui a raconté la
« faute » ! Au cours d’une constellation familiale, il faut redonner
à cette personne exclue la place qui lui revient au sein de la
famille. Dans le cas d’une arrière arrière grand-mère, j’introduirais
sur scène plusieurs personnes, représentant plusieurs générations,
pour remonter à l’origine du problème. Dès que l’aïeule exclue
sera réhabilitée et acceptée - sa représentante manifestant un
état de bien-être au sein de la constellation -, l’ordre sera
rétabli dans la lignée.
N. C. :
Pour quels grands types de problème a-t-on recourt à la technique
des constellations ?
B. H. : Avant de vous répondre, je voudrais insister sur
un ou deux points. D’abord, une constellation n’est ni un amusement,
ni un spectacle. On ne vient pas faire une constellation par curiosité.
Les enjeux en sont bien souvent graves, car le patient souffre.
Qu’il s’agisse d’une maladie, d’une tendance suicidaire, du deuil
non fait d’une mère morte à la naissance, bref de toutes sortes
de situations où l’on se retrouve impuissant devant la souffrance,
la constellation peut-être une bonne technique. Évidemment, en
aucun cas il peut s’agit de « régler ses comptes » avec tel
ou tel membre de la famille. Pour cela, il existe de multiples
thérapies de type « émotionnel », qui sont beaucoup plus efficaces.
Les situations où les constellations s’avèrent particulièrement
utiles sont, par exemple, celles qui tournent autour de maladies
de type cancer ou anorexie, de problèmes consécutifs à une adoption
mais aussi à un viol… c’est assez varié. J’ai travaillé dans des
prisons avec de grands criminels. Et je me suis occupé de problèmes
de couples. Une constellation peut éviter une séparation… et en
provoquer une autre. Celui qui veut partir suit peut-être inconsciemment
le destin d’un membre de sa famille qui, jadis, a été obligé de
quitter l’être aimé. Et celui qui reste le fait peut-être par
loyauté vis-à-vis d’un ancêtre qui avait lâchement abandonné sa
famille.
N. C. :
Vous dites que des patients atteints de maladies graves viennent
vous consulter. Mais vous ne prétendez pas que la guérison soit
le but d’une constellation ?
B. H. : Il arrive que la maladie corresponde à un désir
d’expiation. Je me souviens d’un patient qui s’était identifié
à son grand-père qui avait renversé et tué un enfant en voiture.
La maladie permettait à ce jeune homme d’endosser la souffrance
culpabilisé de son grand-père. En renonçant à porter cette culpabilité,
sa santé s’est améliorée. Mais attention, je ne suis pas médecin
et je vous le redis tout net : la guérison n’est pas le but de
la constellation. Mon travail consiste avant tout à rééquilibrer
les forces ou les courants - appelez-les comme vous voudrez -
qui agissent au sein de la famille.
N. C. :
Dans un certain nombre de thérapie, notamment transgénérationnelles,
on parle de pardon. Cette notion est-elle importante pour vous
?
B. H. : Lorsque quelqu’un pardonne, il se met « au-dessus
des autres ». En fait le pardon rend le « présumé » coupable encore
plus coupable. Pour moi, la réconciliation réelle repose sur une
reconnaissances des « torts » de chacun et s’accompagne d’une
discussion, avec la personne concernée.
N. C. :
Même si la personne concernée a vécu plusieurs générations
avant nous ?
B. H. : Absolument. Et la constellation sert aussi à ça.
À rétablir une communication par-delà le temps. Mais vous savez,
si ces thérapies ne véhiculent pas d’amour, elles ne sont rien
d’autre que des techniques et mènent à la banalisation. L’amour
qui est en jeu, ici n’a rien à voir avec celui que peut éprouver
un homme pour une femme, ou un parents pour un enfant. Qu’est-ce
qui agit vraiment dans la constellation ? Cette perception, qui
me permet de saisir intuitivement l’essentiel sur la personne
observée, cette perception n’est pas que réceptive. Elle crée
aussi une force qui agit de façon manifeste. Je dis, moi, que
c’est l’amour qui permet au processus d’opérer. Lui seul peut
amener des êtres qui se sont recroquevillés à consentir à leur
destin, à leur famille. Bien sûr l’intimité qui naît de cette
forme de perception n’est possible que si l’on observe une certaine
distance. La distance du véritable amour, qui n’est pas fusion,
mais respect et écoute attentive.
N. C. :
Diriez-vous qu’il s’agit là d’une attitude spirituelle ?
B. H. : La notion de spiritualité est toujours difficile
à cerner. Grâce à ces thérapies transgénérationelles, nous pouvons
changer notre vision du monde et nous ouvrir en effet à une forme
de connaissance spirituelle. Du point de vue de la phénoménologie,
la question est d’accepter sa vie, son destin, tel qu’il se présente.
On se met au diapason, on ne résiste pas. Un tel accord donne
la force intérieure qui permet de garder une vraie sérénité, même
sous les pressions les plus violentes. Lorsqu’on travaille sur
les liens subtils que l’on entretient avec sa lignée, thérapeute
ou patient, on déchiffre de façon beaucoup plus claire l’immense
aventure de la vie.
N. C. :
Parler d’un travail « d’âme à âme » doit choquer bien des
thérapeutes - qui doivent y avoir des restes de votre passé de
prêtre. À quoi bon prendre le risque de les choquer et de vous
fermer à eux ?
B. H. : À partir d’une certaine époque, j’ai senti que
ma tâche ne se situait plus dans le sacerdoce et la prêtrise.
Mais je ne regrette rien de mon passé et demeure très attentif
et respectueux vis-à-vis de mon Église d’origine. Même si je n’étais
plus croyant, je crois qu’il en irait de même. Je comprends fort
bien le geste de Martin Heiddegger, dont on dit qu’il continuait
à tremper sa main dans le bénitier et à faire signe de croix et
génuflexion quand il entrait dans une église, alors même qu’il
avait perdu la foi. Selon moi, il le faisait par respect pour
ses ancêtres.
Quant au mot “âme”, il touche à ce qu’il y a de plus profond en
nous. C’est un niveau mystérieux, dont il m’est impossible de
prétendre connaître la nature ultime. Il est certain qu’à un certain
niveau nous ne sommes pas des individus séparés et que nous nous
rejoignons sur le fond. Sans doute est-ce à ce niveau que se joue
une communication « d’âme à âme »… L’âme dépasse de beaucoup l’individu.
Je n’ai pas de point de vue idéologique sur cette question. C’est
un phénomène que je constate.
N. C. :
Vous vous situez au-delà de la morale…
B. H. : Aborder une constellation en partant de préjugés
moraux rendrait toute action vaine. Même dans des cas criminels,
la question n’est pas de juger en termes de bien ou de mal, mais
de retrouver le contexte où le crime s’est produit. Je pourrais
vous citer le cas d’une relation incestueuse qui, mise en constellation,
a permis à la femme qui en avait été victime, de reconnaître qu’elle
avait rempli une fonction en remplacement de sa mère et que, quoi
qu’il fût arrivé, elle continuait d’aimer chacun de ses parents
et pouvait, ayant posé les différents échanges sans haine, se
libérer des attaches incestueuses qui l’aliénaient et laisser
ses parents entre eux. Du mal peut naître du bien. Ainsi, si un
enfant naît d’un viol, cet enfant sera bien obligé de reconnaître
que son père est son père, et qu’il n’en a pas d’autre - et la
mère de cet enfant devra, à un certain niveau, aimer l’homme qui
l’a violée, c’est-à-dire respecter en lui le père de son enfant.
Si elle ne le faisait pas, elle nierait quelque chose d’essentiel
dans son enfant, au détriment de celui-ci et de sa lignée. Il
ne s’agit pas ici d’être amoureuse de son violeur, mais de conjuguer
le verbe aimer à son niveau supérieur, où l’amour correspond à
une force supérieure à tout. La faute du violeur n’en est pas
effacée pour autant, mais elle se trouve replacée dans un contexte
plus grand.
N. C. :
Quid du travail d’intégration finale ? Vous relâchez éventuellement
des gens dans la rue sans qu’ils aient pu verbaliser ce qui s’était
passé pendant leur séance de constellation ?
B. H. : Disons d’abord que certaines personnes en sont
à un stade tel de leur évolution personnelle qu’elles préfèrent
continuer à supporter une souffrance connue, plutôt que de prendre
le risque de s’ouvrir à un bonheur inconnu. Lorsque l’on souffre
assez longtemps pour une mauvaise cause, on finit par se dire
que celle-ci n’est peut-être pas si mauvaise que ça… au lieu de
comprendre qu’il est grand temps de changer ! Cela dit, bien souvent,
quand une constellation est interrompue avant d’aboutir - parce
qu’elle est bloquée dans une impasse et que je décide d’y mettre
un terme, ou parce que le patient dont nous “constellons” le cas
se fâche et s’en va -, je constate que, quelques heures ou quelques
jours plus tard, le personne me contacte pour me signaler qu’un
travail de fond s’effectue en elle-même, avec des remises en cause
diverses. En ce cas, la constellation a servi de déclencheur à
un processus inconscient plus long, mais extrêmement utile.
N. C. :
Quand on en arrive à la fin d’une constellation, quand enfin
la combinaison a été trouvée et qu’une sérénité générale s’est
installée, il arrive que vous demandiez au patient, c’est-à-dire
au sujet dont la situation et la famille sont représentées sur
scènce, de quitte sa chaise de “spectateur” pour venir prendre
la place de la “doublure” qui le représentait…
B. H. : Oui, pour recevoir en quelque sorte la bénédiction
de sa lignée. C’est alors pour cette personne un formidable bain
de régénérescence ! Mais il arrive aussi que la personne ne puisse
assumer de recevoir ce cadeau - c’est trop, ou trop tôt. On ne
peut pas la forcer à actualiser en elle, sur l’instant, la fenêtre
d’opportunité que la constellation a ouverte dans le champ de
ses possibles.
N. C. :
Est-ce pour bien marquer que l’ordre “normal”, ou “chronologique”,
ou “ancestral”, a été retrouvé que vous tenez beaucoup, dit-on,
à ce que les plus anciens bénissent leurs descendants en fin de
constellation ?
B. H. : Oui. Lorsqu’un enfant s’incline devant son père
et que celui-ci lui donne sa bénédiction, ils se remettent dans
le courant de la vie et s’y soumettent. Le geste du père bénissant
son fils va bien plus loin que leur simple relation interpersonnelle
: de fait, c’est toute la lignée qui, par le père, reconnaît le
fils. Le père ne sert en somme que d’intermédiaire. Je ne nie
pas qu’il s’agit là d’un acte religieux, au sens le plus ancien
de ce mot : il relie les vivants et les morts par un courant de
conscience et d’amour. En ce sens, on peut dire que la constellation
familiale a quelque chose d’une liturgie. C’est pourquoi il est
si important de ne la pratiquer qu’avec graande connaissance et
profond respect. •
1.- Nous avons approché
cette méthode dans le cadre d’un atelier coordonné par une psychothérapeute
française, Marie-Thérèse Bal-Craquin.
2.- Les travaux de Rupert Sheldrake, d’Une
nouvelle science de la vie à Ces animaux qui attendent
leurs maîtres, sont publiés aux éd. du Rocher.
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