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         Lundi 3 Avril 2006
 
  « S'asseoir et faire l'intérieur Net... »   
 
LES DOSSIERS CLÉS
 

Pourquoi avons-nous mal à nos ancêtres ?

Les constellations familiales
ou le contact d’âme à âme

Rencontre avec Bert Hellinger

Avez-vous déjà participé à une Constellation Familiale ? Mise au point il y a une trentaine d’années par Bert Heilinger, qui fut d’abord pasteur allemand et vivait en contact avec des cultures traditionnelles d’Afrique du Sud, elle a été adoptée par de nombreuses écoles psy. Curieusement, cette méthode a une forme jumelle, inventée vers la même époque par Alexandro Jodorowsky - comme l’explique Rupert Sheldrake, les idées peuvent spontanément jaillir dans plusieurs esprits à la fois ! Le principe est simple. Quand vient votre tour (1), vous choisissez plusieurs personnes dans le groupe (c’est une thérapie groupale) pour représenter chacun des membres de votre famille (ou de votre entreprise, ou de la communauté à laquelle vous appartenez et où se pose le problème pour lequel vous êtes là). Sans rien leur dire de vous, vous placez ces personnes à votre guise, debout, les bras ballants, dans le cercle formé par les participants. Vous agissez toujours “au feeling”, dans un état semi-somnambulique, en ne pensant à rien, juste vigilant à ce qui se passe en vous. Puis vous vous asseyez et écoutez le psy “constellateur” interroger chacune des personnes de la “constellation” ainsi formée. Aussi fou que cela puisse paraître, ces personnes, qui ne savent rien de vous ni de votre famille ou de vos ancêtres, se mettent à répondre des choses tout à fait en rapport avec votre situation, votre vie, votre arbre généalogique. Invité par l’un des participants d’un tel atelier à représenter son père (cela aurait pu être son frère, ou son fils, ou même sa mère ou sa femme, les vecteurs de l’expérience s’avérant androgynes), nous nous sommes mis à ressentir des sensations, des émotions, à prononcer des paroles, à commettre des gestes, à exprimer des demandes que nous ne contrôlions pas et qui participaient d’un ensemble interactif impliquant quatre, cinq,
six, jusqu’à vingt personnes dans un état similaire au nôtre, le tout prenant un sens aigu (dans son récit ultérieur) pour le sujet dont nous “constellions” (verbe transitif) la problématique, vers une issue si possible harmonieuse... Le champ ainsi ouvert est extrêmement surprenant, comparable à rien d’autre. Une chose est sûre : l’intellect n’intervient pas, ou pas de façon motrice, c’est quelque chose de beaucoup plus profond. Bert Heilinger parle d’une communication « d’âme à âme »…

Bert Hillinger. DR.

Nouvelles Clés : Vous étiez d’abord prêtre, en Afrique n’est-ce pas ? Comment êtes-vous devenu psychothérapeute ?
Bert Hellinger : J’ai effectivement dirigé pendant seize ans un ordre missionnaire chez les Zoulous en Afrique du Sud… et je m’imaginais que ce serait pour la vie. J’ai ensuite été muté en Allemagne, pour diriger des séminaires de prêtres. Cela m’a donné l’occasion d’organiser des ateliers de travail avec des techniques de dynamique de groupe. Et, petit à petit, je me suis aperçu que ma voie était ailleurs que dans la prêtrise.

N. C. : Y-a-t-il eu un événement qui a tout déclenché, un « déclic » ?
B. H. : En 1971, j’assistais à un congrès de psychanalystes.
La séance a été dérangée par un groupe de hippies, très bruyant. Une thérapeute américaine du nom de Ruth Cone est alors intervenue, réussissant à gagner à sa cause le groupe de perturbateurs et à les calmer. Elle développait une méthode particulière d’interaction, qui consistait à lancer un thème dans un groupe et le laisser se développer… Selon cette méthode, un groupe de travail s’est mis en place après l’incident avec les hippies ; j’y ai participé. Ruth Cone nous a alors exposé les bases d’une technique dont j’ignorais encore tout : la « gestalt ». Je me suis retrouvé confronté à mon passé et il m’est apparu clairement que je devais quitter ma fonction de prêtre. À la fin de la session, j’ai parcouru le cercle des participants en disant : « Je m’en vais. » Quelques mois plus tard, je l’ai fait. J’ai rencontré ma femme, commencé une psychanalyse et mon travail dans le champ des thérapies a vraiment débuté. J’avais 45 ans.

N. C. : Vous avez alors mis au point « la constellation familiale », une thérapie originale. Comment l’avez-vous conçue au départ ?
B. H. : Avant de pouvoir la concevoir, j’ai exploré différents types de thérapies et notamment la thérapie primale, qui aborde l’être humain dans sa dimension de corps/émotions. Elle vise à provoquer la résurgence d’émotions refoulées, à revivre de façon consciente les scènes traumatiques censurées. Une fois libéré du souvenir de certains évènements douloureux, je me suis ensuite tourné vers l’analyse transactionnelle. Le psychiatre américain Eric Berne, son fondateur, affirme que les échanges, les transactions que nous effectuons avec notre environnement révèlent notre « scénario de vie ». Peu à peu, je me suis rendu compte que les patients ne vivent pas toujours leur script personnel… Parfois, ils reproduisent celui d’un membre de leur famille. En d’autres termes, nos aïeux se mêlent de notre destin ! Je me souviens d’un homme qui était fasciné par l’Othello de Shakespeare. Au cours d’une séance, il m’en révèle la raison. En référence à sa passion pour Othello, je lui demande : « Qui a tué par jalousie ? » Il me répond : « Mon grand-père ! »Vous avez là un premier point essentiel : mon travail sur les Constellations Familiales met en évidence une identification inconsciente à une personne aimée et importante, en l’occurrence, le grand-père.

N. C. : D’où vient le terme de constellation ?
B. H. : C’est un raccourci de traduction. Il serait préférable de garder la traduction littérale du mot allemand et de parler de « poser la famille dans l’espace ». Car pour former une constellation familiale, on « pose » effectivement les différents membres de la famille dans l’espace, sur une scène, les uns en rapport avec les autres. Un peu comme les étoiles dans le ciel sont reliées entre elles.

N. C. : Racontez nous donc comment se déroule une thérapie de constellation familiale.
B. H. : Premier point important : c’est un travail de groupe. J’officie en public, dans une grande salle. Le « constellé », celui qui a un problème à résoudre, accepte de monter sur une scène et je vais littéralement « mettre en scène » son problème, en introduisant autour de lui des personnes qui représenteront des membres de sa famille. Il s’agit bien souvent des parents, des frères et des sœurs… et parfois du patient lui-même lorsqu’il était enfant. Il choisit dans le public les personnes qui incarneront ses proches. Evidemment, elles ne connaissent rien de l’histoire du patient ni celle de sa famille. Une fois les rôles attribués, sur scène, le patient place chacun à un endroit précis, selon son « feeling ». La personne qui représente la mère fait par exemple face à celle qui représente le fils, ce dernier tourne le dos à sa “sœur”, etc. Le patient détermine l’orientation de leur regard, la distance des uns par rapport aux autres, et ce, de manière totalement spontanée. Puis il se met à l’écart et observe silencieusement.

N. C. : Ce que vous nous décrivez rappelle certaines pratiques mises au point par Alexandro Jodorowsky et surtout la Sculpture familiale, cette thérapie développée en 1942 par Virginia Satir, qui était psychothérapeute dans le groupe de recherche du « Mental Research Institute » de Paolo Alto, aux Etats-Unis…
B. H. : Pourtant, il existe de grandes différences… Tout d’abord, dans la thérapie de Sculpture familiale, les protagonistes sont les membres de la famille réelle. Ensuite, le patient place les différents individus en relation les uns avec les autres et il leur attribue une attitude particulière.
Il demande à certains de se tourner, de lever une jambe… Bref, il « sculpte » la personne, exerce une véritable influence. Dans le cadre d’une constellation, l’intervention du sujet est minimale. Quant aux membres de sa constellation, ils sont tous « posés » dans l’espace d’une façon très intuitive. Rien n’est indiqué, il n’y a pas de consigne. C’est seulement à partir de là que la mécanique se met en branle, que les acteurs involontaires se mettent à jouer un script qui n’est pas le leur, mus par une force intérieure : celle de la famille du constellé.

N. C. : Lorsque vous mettez en scène une constellation, quel type de phénomène se produit exactement ?
B. H. : Pour la constellation, on vérifie très facilement, de façon à la fois sensorielle et émotionnelle, que les personnes choisies pour incarner les membres de la famille du patient se « sentent » vraiment comme leurs représentants. Elles ne comprennent pas pourquoi, mais elles sont concernées. Parfois, elles adoptent même intuitivement la voix de celui ou de celle qu’elles incarnent, son vocabulaire, sa gestuelle, ses tics… Alors qu’il s’agit de gens qu’elles n’ont jamais rencontrés !
Une fois que la constellation est en place sur scène, c’est-à-dire une fois que chaque personne se trouve plongée dans cet état de conscience particulier, les « membres de la famille » vont manifester des réactions très différentes… tout dépend du rôle que l’on s’est vu assigné. Certains peuvent éprouver des sensations de chaud, ou de froid, ou d’étouffement, ou une envie de bouger, ou de se coucher sur le sol, des douleurs précises apparaissent… En règle générale, tous se trouvent atteints des symptômes des personnes qu’ils représentent - en situation réelle ! Ils deviennent un peu comme des marionnettes, possédés par les personnages qu’ils incarnent. C’est souvent très spectaculaire. La notion de champs morphogénétiques développé par Rupert Sheldrake peut aider à comprendre ce phénomène. Je vous rappelle que cette théorie suppose qu’un savoir collectif est accessible à n’importe quel individu et qu’il peut se former dans un groupe donné. C’est une hypothèse qui fait évidemment l’objet de controverse (2).

N. C. : Voilà donc une constellation mise en place sur la scène autour du patient : quel est alors votre rôle ?
B. H. : La construction de cette première constellation reflète la façon dont le patient perçoit actuellement la situation. La place qu’y prennent les représentants, leurs réactions, permettent de discerner les intrications en présence. Celui qui mène la constellation parvient alors facilement à sentir quel serait le « pas suivant » qui serait décisif.

N. C. : Le “pas suivant” ?
B. H. : Admettons qu’à un moment donné, sur la scène, se trouve une personne qui représente la mère du patient et qu’en face d’elle, quelqu’un d’autre représente le père. Admettons que celui qui représente le patient lui-même, c’est-à-dire le fils, se vienne se placer juste entre ces deux personnes et regarde droit devant lui, immobile. Dans ce cas de figure, on peut « ressentir », par exemple, que le fils, en se plaçant là, entre ses parents, leur permet de ne pas se regarder. Mais voilà que je sens qu’il veut partir, que cette situation ne lui convient pas. J’induis alors un mouvement, en lui suggérant d’avancer de trois pas. Il accepte. Et tout de suite, il me dit qu’il se sent mieux. La situation évolue. J’essaye toujours de déterminer quels autres personnages devraient être intégrés au système de la constellation, ceux qui sont évidents (par exemple tel grand-parent), ceux dont le patient m’a parlé (je sais par exemple qu’il a deux sœurs), mais aussi ceux qui ont pu être exclus au cours des générations et dont l’absence, là aussi, peut soudain être fortement « ressentie »… par le thérapeute qui mène la constellation, ou par l’un des représentants en scène. Un phénomène d’imprégnation opère, les réactions de chacun s’enchaînent à celles des autres. À l’aide de phrases libératrices et de diverses marques de reconnaissance et de respect, ceux qui ont été exclus - et demeuraient tels des fantômes - peuvent être révélés et reconnus. Chacun retrouve la place qui lui revient…

N. C. : Mais comment pouvez-vous être sûr de savoir quel personnage est important pour dénouer le nœud ou l’un des nœuds du problème ?
B. H. : Ce sont des intuitions, ou plutôt des perceptions. Je ne fais pas preuve d’imagination, j’ai plutôt accès à un certain nombre d’informations grâce aux attitudes des personnages, à leurs réactions, à leurs mimiques, à leurs paroles aussi, car ils peuvent très bien avoir envie de dire quelque chose. Le thérapeute s’appuie sur ce qu’il sent ou plus exactement, sur ce qu’il perçoit. C’est une perception phénoménologique.

N. C. : C’est-à-dire…
B. H. : À mon sens, la méthode des constellations familiales est une psychothérapie phénoménologique, c’est-à-dire non régie in situ par une élaboration théorique. La phénoménologie est une approche philosophique qui ne s’appuie pas forcément sur la verbalisation. Cette perception phénoménologique constitue l’outil essentiel du thérapeute en constellation. Notre attention subliminale, subconsciente, s’y entend pour débusquer toutes sortes d’informations, même anodines, qui émergent de la constellation et elle nous permet de les interpréter intuitivement. Mais du coup, il n’est pas facile de définir le lien hors-norme qui s’établit entre le constellateur et le groupe qu’il anime. Cette pratique exige une présence, une écoute particulière, en l’occurrence dépourvue de toute intention préconçue quant à ce qui se manifestera lors de la constellation. Seule prime la perception immédiate de la situation. J’entrevois ce qui ne fonctionne pas dans l’ordre existant. Pour cela, je m’appuie sur mes perceptions et mon expérience. Dans cet exercice, le thérapeute n’a pas de but défini. Il reste concentré, ou plutôt centré, ouvert à ce qui va se passer. Il ne sait pas où il va aller… Il s’expose aux phénomènes comme ils viennent. Il ne doit pas avoir peur de ce qui va apparaître, ni se montrer critique, bien sûr. Deux éléments qui peuvent perturber la perception. C’est vraiment dans l’esprit du tao : le plus présent possible, mais en total lâcher-prise et sans intention. L’important dans les constellations est uniquement ce qui est mis en lumière. C’est la réalité émergeante de la situation mise en scène qui agit, et non le thérapeute. Ce dernier ne manipule personne, il n’intervient pas, il est uniquement au service de cette réalité.

N. C. : Précisons : la constellation n’est-elle en aucun cas comparable à un jeu de rôles ?
B. H. : Non, dans la mesure où il n’y a aucun rôle à jouer : il s’agit d’être très attentif et présent, mais sans la moindre volonté. Le gens qui pratiquent la méditation zen me comprendront facilement : il s’agit de se mettre dans l’attitude d’un méditant, mais qui, au lieu de rester ouvert à l’Inconnu dans sa dimension absolue, resterait ouvert aux autres et à ce qui se passe autour de lui. C’est une sorte de méditation « orientée ». Il est nécessaire que cette attitude soit globalement bienveillante - dans l’esprit de la compassion des bouddhistes : orientée vers les autres. Mais il n’est pas question de vouloir quoi que ce soit, même pas de vouloir guérir. Ces niveaux psychiques supérieurs doivent être mis totalement hors-circuit. Il s’agit juste d’être là, d’observer ce qui se passe et, éventuellement, de l’exprimer.

N. C. : Comment le thérapeute sait-il si ses perceptions sont justes ou non ?
B. H. : Il suffit d’être « présent », attentif à ce qui se passe. Si l’on attend suffisamment, les paroles ou les actes s’imposent comme des fulgurances. On sait que c’est cela qu’il faut faire ! Lorsque je choisis quelqu’un, que je le positionne ensuite dans l’espace par rapport aux autres, je ne sais pas exactement pourquoi je le fais. C’est intuitif. Je le sens. En quelque sorte, le thérapeute met en place les pièces d’un puzzle sans savoir ce que l’image représente. C’est en cours de route - voire à la fin - que tout s’éclaire ! La solution apparaît lorsque toutes les personnes placées se sentent bien là où elles se trouvent.

N. C. : Comment savez-vous qu’une constellation est réussie ?
B. H. : C’est ce que je viens de vous dire : lorsque tous les membres de la constellation semblent à leur place, détendus, le visage rayonnant. Tous. Tant qu’un seul membre de la constellation ne se sent pas à son aise, c’est que l’on n’a pas abouti.

N. C. : Combien de temps faut-il pour arriver à ce résultat ?
B. H. : Une séance dure environ une demi-heure, selon la complexité des intrications, bien sûr. Mais il est inutile de la prolonger indéfiniment. Tout d’abord, passé un certain temps, la concentration des participants chute. Ensuite, au bout de ce temps, si la situation ne s’éclaircit pas, c’est que nous nous trouvons face à un blocage. Encore fois, le thérapeute intervient très peu… Par conséquent, si la situation ne se dénoue pas, si cela n’avance pas, c’est cette réalité-là qui est à prendre en compte. Mais, vous savez, réaliser qu’il y a blocage peut être très utile au patient. Cette prise de conscience peut enclencher chez lui le début d’un processus.

N. C. : Il se peut donc fort bien que l’exercice d’une constellation soit un échec, qu’elle n’aboutisse pas. Qu’est-ce que cela peut signifier ?
B. H. : Je me souviens du cas d’une patiente qui, au cours d’une constellation, avait claqué la porte de la séance, très en colère. Elle m’a confié que quelques heures plus tard, au volant de sa voiture, une émotion l’avait submergée. Elle s’est mise à pleurer et a été obligée de s’arrêter en bordure d’une forêt. C’est là que, tout d’un coup, elle a pris conscience de son vrai problème et de ce qui lui restait à faire pour le résoudre. La constellation avait fait son chemin en elle. N’oublions pas qu’avoir un objectif de réussite ou de guérison implique beaucoup de volontarisme. Or, la volonté pure peut contrarier le bon déroulement d’une séance.

N. C. : Mais si la guérison n’est pas l’objectif de la constellation, quel est-il ?
B. H. : La constellation remet de l’ordre dans le système familial, elle « réinjecte » de l’harmonie en resituant chacun à sa place en rapport avec les autres. Pour que vous compreniez mieux, prenons une image et comparons le système familial à un “mobile” de Calder. Chacun de ses éléments a une place définie, qui participe à l’équilibre de l’ensemble. Si l’un d’entre eux devait être exclu, tout le mobile se mettrait à vaciller. Tous les éléments sont donc liés et s’influencent mutuellement. Le but du travail de constellation consiste donc à mettre à jour les dynamiques et les déséquilibres cachés. L’exclusion en est une : si un membre de la famille est exclu ou oublié, si les autres membres de la famille refoulent son existence, tout le système familial subit une pression, parfois énorme, en général inconsciente, qui ne se relâchera que lorsque cette perte sera compensée.

N. C. : Comment cela se traduit-il concrètement sur scène ?
B. H. : Prenons l’exemple de Paul. Il a 14 ans et éprouve des difficultés à travailler en classe.
De plus, il a une tendance suicidaire. Dans la constellation que nous avons mise en scène pour lui, “il” (en fait son représentant) se tient debout, à côté de son “professeur”, en face de ses “parents”. Le petit garçon paraît triste. Je le lui dis. Cela déclenche des larmes, bientôt suivies par celles de sa mère. Je sens que ce n’est pas sa tristesse qu’il porte, mais celle de sa mère.
Il doit y avoir un événement dans sa famille, à elle, qui l’a rendue triste. Je lui pose la question. Elle dit alors que sa sœur jumelle est morte à la naissance. Un événement qui avait été mis entre parenthèses dans la famille (et qui s’avèrera exact dans l’histoire de la vraie mère. Comprendre comment une telle information a pu surgir dans la conscience de la personne qui représentait la mère dans la constellation est un beau défi pour la science, mais n’est pas notre problème à cet instant !). Cette sœur avait été oubliée et tout le monde, dans un accord tacite, une convergence de non-dits, se comporte comme si ce drame n’avait jamais eu lieu, comme si cette petite fille n’avait jamais existé. Quand un tel drame arrive, sous la pression de la conscience du clan, quelqu’un va être choisi pour représenter, dans la vie, cette personne disparue. Et la plupart du temps, l’exclusion sera compensée par l’un des enfants. Ce dernier, en l’occurrence Paul, s'identifie alors à la personne exclue. Il exprime des sentiments qui ne sont pas les siens, adopte des comportements et développe des symptômes qui indiquent que quelque chose ne va pas.

N. C. : Et que se passe-t-il quand l’exclu réclame sa place ?
B. H. : Dans le cas présent, il y avait visiblement un manque : la sœur jumelle de la mère ne figurait pas dans la constellation. J’ai donc décidé de la réintroduire et j’ai choisi une personne pour la représenter. C’était le premier pas pour remettre de l’ordre. Je lui ai fait tourner le dos au reste de la famille pour marquer qu’elle n’en faisait pas partie à ce moment-là. La personne qui représentait la mère s’est alors déplacée pour aller derrière sa sœur jumelle. Cette réaction révèlait une dynamique cachée : l’attitude de la mère montrait clairement qu’elle désirait suivre sa sœur dans la mort. Elle le faisait avec amour. Comment se sentait-elle à cette place ? J’ai posé la question. « Mieux », m’a répondu la “mère”, confirmant ainsi son désir inconscient de suivre sa sœur dans l’au-delà.

N. C. : Vous avez su cela uniquement parce que la mère s’était placée derrière sa sœur disparue ?
B. H. : C’est une dynamique très fréquente dans les constellations. « Je te suis » signifie qu’une personne se sent poussée à marcher dans les pas d’un autre membre de son système. Et, bien souvent , pour être plus précis, c’est « je te suis dans ta maladie » ou «je te suis dans la mort».

N. C. : Existe-t-il d’autres dynamiques où une personne subit l’histoire d’une autre ?
B. H. : Je poursuis mon exemple. J’ai remis la mère à sa place initiale et je l’ai remplacée par son fils, derrière la sœur exclue. Aussitôt, le garçon représentant Paul affirme : « Je me sens mieux ! » Une deuxième dynamique, conséquence directe du « je te suis », apparaît donc. Maintenant, c’est le « plutôt moi que toi ! » Quand Paul occupe la place de sa mère, que se passe-t-il ? Il sent qu’elle a le désir de mourir et il lui dit : « Je meurs pour toi. » Lorsque l’un des parents est en quelque sorte « aspiré » hors de la famille pour des raison systémiques, c’est-à-dire qu’il tente de rejoindre un membre de la famille décédé, les enfants le ressentent inconsciemment. En prenant la décision du « plutôt moi que toi », l’enfant se met au service de sa famille, se sent en harmonie avec elle et accomplit avec bonne conscience sa mission.

N. C. : À partir de là, comment la constellation de Paul a-t-elle évolué ?
B. H. : À partir de là, j’ai déplacé la sœur jumelle à côté de la mère : elle était donc à nouveau reçue dans la famille. Elle faisait à nouveau partie du clan. J’ai ensuite déplacé le jeune garçon jusque devant ses parents. Sa mère lui a dit : « Maintenant, je reste. » Il n’avait donc plus besoin de faire quoi que ce soit pour sa mère, ou plutôt à la place de sa mère. Par conséquent, il a été libéré. C’était la solution ! Jusque-là , ce garçon voulait inconsciemment se suicider à la place de sa mère. Le pire était qu’il se sentait bien dans ce rôle qui n’était pourtant pas le sien. Il aurait pu franchir le pas un jour, et passer à l’acte en ayant bonne conscience, parce qu’il l’aurait fait à la place de sa mère. On ne peut pas sauver quelqu’un tant qu’il est convaincu de prendre des décisions justes et n’éprouve aucun sentiment de culpabilité : inconsciemment, il suit les règles du groupe, en l’occurrence sa famille. Comme vous le devinez, ce sentiment est fonction de l’appartenance au groupe : on a la certitude d’y avoir sa place. C’est une des grandes lois familiales.

N. C. : Le simple fait de se sentir appartenir à un groupe nous disculpe des toutes les actions qu’on entreprendra en son nom, pour sa cohésion, pour sa survie ?
B. H. : C’est cela. Lorsque le sentiment d’appartenance est clair, on fait sienne la conscience du groupe, en l’occurrence, de la famille - la famille est le groupe le plus fort, mais ça peut aussi être une bande, une armée, une communauté, un parti, une association, un syndicat, un gang... auquel nous prêtons allégeance et dont les valeurs deviennent les nôtres. A contrario, lorsque nous éprouvons la crainte de ne plus appartenir à ce système, nous avons mauvaise conscience. L’aspiration à appartenir au groupe constitue, dans des couches très profondes de l’inconscient, le principal moteur de nos agissements. Ma conscience, c’est le groupe ; c’est lui qui décide pour moi ce qui est bon ou mauvais.
En réalité, la bonne conscience est un besoin infantile. Enfants, nous avons tous éprouvé le profond besoin de nous sentir regardés, acceptés et approuvés par nos parents. Car ce qui pourrait nous arriver de pire était de nous retrouver exclus de notre famille. C’est pourquoi la force d’allégeance qui nous relie à elle est si colossale : pour n’être pas exclu et pouvoir survivre dans le regard de nos parents, nous sommes prêts littéralement à tout - et même, paradoxalement, à mourir ! Au stade de l’enfant, j’affirme que le moteur de ce processus est de l’amour pur. Cependant, à l’âge adulte, il nous faut nous libérer de ce regard que nos parents portent sur nous. Car il ne s’agit alors plus d’amour mais d’un mélange de peurs et d’habitudes. Évidemment, nous libérer ainsi, c’est courir le risque de nous engager sur une voie non conforme aux idéaux de nos parents, et ainsi de porter atteinte à leur amour propre. Cette libération s’accompagne donc souvent d’un sentiment de mauvaise conscience. Je dirais même qu’à un certain niveau, aucune progression dans l’accomplissement de soi ne peut s’effectuer sans une certaine mauvaise conscience.
La mauvaise conscience nous habite aussi lorsque nous avons le sentiment d’une dette trop grande vis-à-vis de notre groupe de référence, notamment une dette que nous ne pouvons pas payer à nos « ancêtres ». Ainsi, ai-je rencontré beaucoup de juifs survivants des camps de concentration, qui vivaient dans une continuelle culpabilité vis-à-vis de tous ceux qui n’avaient pas survécu. Ils se comportaient comme s’ils refusaient de vivre. C’était leur façon - absurde mais compréhensible - de payer leur dette. Et cela apporte à notre constellation une lumière supplémentaire : tous les échanges doivent y être équilibrés : si j’ai reçu, je dois rendre ; si je donne, je dois recevoir en échange. C’est comme ça. Je ne peux que le constater. La loi des équilibrages est absolument incontournable. Je peux très bien, au nom de mon idée propre de la “liberté”, déroger à toutes les règles de l’appartenance groupale ; mais je dois alors savoir qu’en aucun cas, je ne pourrai ensuite me soustraire - et soustraire mes descendants - au nécessaire rééquilibrage, éventuellement très violent, de ce détournement. En ce sens, je trouve ridicule de limiter la thérapie transgénérationnelle, comme certain le font, au fait de s’arracher à son destin généalogique, de s’en libérer, de couper en quelque sorte les racines, qui ne seraient que des entraves. Selon moi, la libération de la personne passe au contraire par la reconnaissance de ses liens ancestraux. Nier ceux-si, les détester, insulter ses parents et ses ascendants, les battre en pensée, donner libre cours à tous les sentiments négatifs que nous nourrissons à leur égard, tout cela ne peut conduire qu’à une chose : nous culpabiliser à un niveau inconscient, et nous amener à nous en punir.

N. C. : Revenons à l’objectif d’une constellation. Il s’agit de rétablir un ordre dans le système familial…
B. H. : Effectivement, car chaque tragédie familiale repose sur une transgression des lois qui régissent ce système. Je vous ai déjà présenté une de ces lois : le sentiment d’appartenance et ses digressions. Lorsqu’un membre de la famille a été exclu, expulsé, il se passe forcément que quelqu’un, plus tard, se sentira inconsciemment impliqué dans le destin de l’exclu et reprendra l’exclusion à son compte… sans la comprendre - à moins d’effectuer la démarche d’une thérapie transgénérationnelle.
La seconde loi systémique familiale concerne la préséance : chacun doit avoir sa place, selon une hiérarchie chronologique bien définie. Cet ordre n’a rien de qualitatif. Il signifie simplement que les parents passent avant les enfants, et les aïeux, ou ascendants, avant leurs descendants. Ils ont donc un avantage sur eux. Personne ne peut se mêler des affaires de quelqu’un qui était là avant lui, sans que cela crée un désordre. Le cas du fils qui veut mourir à la place de la mère illustre bien ce propos, car il se mêle des affaires de sa mère. J’ai remarqué que toutes les tragédies empruntaient le même chemin : un descendant se mêle des affaires d’un aïeul, et cela avec bonne conscience. Mais la pression de la conscience du clan le fait échouer.

N. C. : Bonne conscience, mauvaise conscience, conscience de clan : mais toute cette “conscience” est en réalité inconsciente ! Comment fonctionne, selon vous, celle du clan ?
B. H. : En fait, c’est assez simple. Dites-vous bien, primo qu’il existe indéniablement une conscience de groupe ; secundo que la conscience veille sur la mémorisation des données. Quelle que soit la nature des échanges entre humains, ceux-ci sont toujours guidés par une bonne ou une mauvaise conscience. C’est ce qui nous pousse à nous mêler des affaires de nos aïeux et à déroger à la règle. Lorsqu’on sait cela, on peut diriger sa conscience personnelle de manière à se mettre en harmonie avec la conscience du clan. Il est vrai que la conscience personnelle n’a pas le même but que la conscience du clan - que j’aime parfois appeler « l’âme collective. » Cette dernière peut être décrite comme une force, un principe qui nous pousse inexorablement à rechercher l’harmonie groupale, à rétablir l’équilibre collectif. La conscience de clan dépasse l’individu et veille à ce que personne ne soit exclu. Même si l’exclusion d’un membre semble justifiée d’un point de vue rationnel, la conscience de clan ne le tolèrera pas et poussera la famille à réagir comme s’il s’était produit une injustice qu’elle doit expier. Pour que tout rentre dans l’ordre, il faudra donc impérativement que celui qui a été exclu retrouve sa place, au besoin sous la forme d’un sustitut.

N. C. : Une sorte de mémoire conservatrice qui cherche à ce que la figure première demeure, à ce que tout le monde reste à sa place !
B. H. : Oui, c’est ce que j’appelle « l’intrication systémique ». Il arrive parfois que la fille tienne le rôle de la mère de sa propre mère, notamment si celle-ci est malade ou dépressive. La fille se place donc au-dessus de sa mère. Mais cela constitue un vrai délit dans la conscience collective, car les rôles sont inversés, et cela engendre des problèmes psychologiques pour les individus de la famille. Or ce qui est extraordinaire c’est que l’ébranlement d’un système familial peut se ressentir sur plusieurs générations. Une jeune fille peut se trouver déstabilisée et endosser le sentiment de culpabilité d’une de ses arrière grands-mères, qu’elle n’a jamais connue et dont personne ne lui a raconté la « faute » ! Au cours d’une constellation familiale, il faut redonner à cette personne exclue la place qui lui revient au sein de la famille. Dans le cas d’une arrière arrière grand-mère, j’introduirais sur scène plusieurs personnes, représentant plusieurs générations, pour remonter à l’origine du problème. Dès que l’aïeule exclue sera réhabilitée et acceptée - sa représentante manifestant un état de bien-être au sein de la constellation -, l’ordre sera rétabli dans la lignée.

N. C. : Pour quels grands types de problème a-t-on recourt à la technique des constellations ?
B. H. : Avant de vous répondre, je voudrais insister sur un ou deux points. D’abord, une constellation n’est ni un amusement, ni un spectacle. On ne vient pas faire une constellation par curiosité. Les enjeux en sont bien souvent graves, car le patient souffre. Qu’il s’agisse d’une maladie, d’une tendance suicidaire, du deuil non fait d’une mère morte à la naissance, bref de toutes sortes de situations où l’on se retrouve impuissant devant la souffrance, la constellation peut-être une bonne technique. Évidemment, en aucun cas il peut s’agit de « régler ses comptes » avec tel ou tel membre de la famille. Pour cela, il existe de multiples thérapies de type « émotionnel », qui sont beaucoup plus efficaces.
Les situations où les constellations s’avèrent particulièrement utiles sont, par exemple, celles qui tournent autour de maladies de type cancer ou anorexie, de problèmes consécutifs à une adoption mais aussi à un viol… c’est assez varié. J’ai travaillé dans des prisons avec de grands criminels. Et je me suis occupé de problèmes de couples. Une constellation peut éviter une séparation… et en provoquer une autre. Celui qui veut partir suit peut-être inconsciemment le destin d’un membre de sa famille qui, jadis, a été obligé de quitter l’être aimé. Et celui qui reste le fait peut-être par loyauté vis-à-vis d’un ancêtre qui avait lâchement abandonné sa famille.

N. C. : Vous dites que des patients atteints de maladies graves viennent vous consulter. Mais vous ne prétendez pas que la guérison soit le but d’une constellation ?
B. H. : Il arrive que la maladie corresponde à un désir d’expiation. Je me souviens d’un patient qui s’était identifié à son grand-père qui avait renversé et tué un enfant en voiture. La maladie permettait à ce jeune homme d’endosser la souffrance culpabilisé de son grand-père. En renonçant à porter cette culpabilité, sa santé s’est améliorée. Mais attention, je ne suis pas médecin et je vous le redis tout net : la guérison n’est pas le but de la constellation. Mon travail consiste avant tout à rééquilibrer les forces ou les courants - appelez-les comme vous voudrez - qui agissent au sein de la famille.

N. C. : Dans un certain nombre de thérapie, notamment transgénérationnelles, on parle de pardon. Cette notion est-elle importante pour vous ?
B. H. : Lorsque quelqu’un pardonne, il se met « au-dessus des autres ». En fait le pardon rend le « présumé » coupable encore plus coupable. Pour moi, la réconciliation réelle repose sur une reconnaissances des « torts » de chacun et s’accompagne d’une discussion, avec la personne concernée.

N. C. : Même si la personne concernée a vécu plusieurs générations avant nous ?
B. H. : Absolument. Et la constellation sert aussi à ça. À rétablir une communication par-delà le temps. Mais vous savez, si ces thérapies ne véhiculent pas d’amour, elles ne sont rien d’autre que des techniques et mènent à la banalisation. L’amour qui est en jeu, ici n’a rien à voir avec celui que peut éprouver un homme pour une femme, ou un parents pour un enfant. Qu’est-ce qui agit vraiment dans la constellation ? Cette perception, qui me permet de saisir intuitivement l’essentiel sur la personne observée, cette perception n’est pas que réceptive. Elle crée aussi une force qui agit de façon manifeste. Je dis, moi, que c’est l’amour qui permet au processus d’opérer. Lui seul peut amener des êtres qui se sont recroquevillés à consentir à leur destin, à leur famille. Bien sûr l’intimité qui naît de cette forme de perception n’est possible que si l’on observe une certaine distance. La distance du véritable amour, qui n’est pas fusion, mais respect et écoute attentive.

N. C. : Diriez-vous qu’il s’agit là d’une attitude spirituelle ?
B. H. : La notion de spiritualité est toujours difficile à cerner. Grâce à ces thérapies transgénérationelles, nous pouvons changer notre vision du monde et nous ouvrir en effet à une forme de connaissance spirituelle. Du point de vue de la phénoménologie, la question est d’accepter sa vie, son destin, tel qu’il se présente. On se met au diapason, on ne résiste pas. Un tel accord donne la force intérieure qui permet de garder une vraie sérénité, même sous les pressions les plus violentes. Lorsqu’on travaille sur les liens subtils que l’on entretient avec sa lignée, thérapeute ou patient, on déchiffre de façon beaucoup plus claire l’immense aventure de la vie.

N. C. : Parler d’un travail « d’âme à âme » doit choquer bien des thérapeutes - qui doivent y avoir des restes de votre passé de prêtre. À quoi bon prendre le risque de les choquer et de vous fermer à eux ?
B. H. : À partir d’une certaine époque, j’ai senti que ma tâche ne se situait plus dans le sacerdoce et la prêtrise. Mais je ne regrette rien de mon passé et demeure très attentif et respectueux vis-à-vis de mon Église d’origine. Même si je n’étais plus croyant, je crois qu’il en irait de même. Je comprends fort bien le geste de Martin Heiddegger, dont on dit qu’il continuait à tremper sa main dans le bénitier et à faire signe de croix et génuflexion quand il entrait dans une église, alors même qu’il avait perdu la foi. Selon moi, il le faisait par respect pour ses ancêtres.
Quant au mot “âme”, il touche à ce qu’il y a de plus profond en nous. C’est un niveau mystérieux, dont il m’est impossible de prétendre connaître la nature ultime. Il est certain qu’à un certain niveau nous ne sommes pas des individus séparés et que nous nous rejoignons sur le fond. Sans doute est-ce à ce niveau que se joue une communication « d’âme à âme »… L’âme dépasse de beaucoup l’individu. Je n’ai pas de point de vue idéologique sur cette question. C’est un phénomène que je constate.

N. C. : Vous vous situez au-delà de la morale…
B. H. : Aborder une constellation en partant de préjugés moraux rendrait toute action vaine. Même dans des cas criminels, la question n’est pas de juger en termes de bien ou de mal, mais de retrouver le contexte où le crime s’est produit. Je pourrais vous citer le cas d’une relation incestueuse qui, mise en constellation, a permis à la femme qui en avait été victime, de reconnaître qu’elle avait rempli une fonction en remplacement de sa mère et que, quoi qu’il fût arrivé, elle continuait d’aimer chacun de ses parents et pouvait, ayant posé les différents échanges sans haine, se libérer des attaches incestueuses qui l’aliénaient et laisser ses parents entre eux. Du mal peut naître du bien. Ainsi, si un enfant naît d’un viol, cet enfant sera bien obligé de reconnaître que son père est son père, et qu’il n’en a pas d’autre - et la mère de cet enfant devra, à un certain niveau, aimer l’homme qui l’a violée, c’est-à-dire respecter en lui le père de son enfant. Si elle ne le faisait pas, elle nierait quelque chose d’essentiel dans son enfant, au détriment de celui-ci et de sa lignée. Il ne s’agit pas ici d’être amoureuse de son violeur, mais de conjuguer le verbe aimer à son niveau supérieur, où l’amour correspond à une force supérieure à tout. La faute du violeur n’en est pas effacée pour autant, mais elle se trouve replacée dans un contexte plus grand.

N. C. : Quid du travail d’intégration finale ? Vous relâchez éventuellement des gens dans la rue sans qu’ils aient pu verbaliser ce qui s’était passé pendant leur séance de constellation ?
B. H. : Disons d’abord que certaines personnes en sont à un stade tel de leur évolution personnelle qu’elles préfèrent continuer à supporter une souffrance connue, plutôt que de prendre le risque de s’ouvrir à un bonheur inconnu. Lorsque l’on souffre assez longtemps pour une mauvaise cause, on finit par se dire que celle-ci n’est peut-être pas si mauvaise que ça… au lieu de comprendre qu’il est grand temps de changer ! Cela dit, bien souvent, quand une constellation est interrompue avant d’aboutir - parce qu’elle est bloquée dans une impasse et que je décide d’y mettre un terme, ou parce que le patient dont nous “constellons” le cas se fâche et s’en va -, je constate que, quelques heures ou quelques jours plus tard, le personne me contacte pour me signaler qu’un travail de fond s’effectue en elle-même, avec des remises en cause diverses. En ce cas, la constellation a servi de déclencheur à un processus inconscient plus long, mais extrêmement utile.

N. C. : Quand on en arrive à la fin d’une constellation, quand enfin la combinaison a été trouvée et qu’une sérénité générale s’est installée, il arrive que vous demandiez au patient, c’est-à-dire au sujet dont la situation et la famille sont représentées sur scènce, de quitte sa chaise de “spectateur” pour venir prendre la place de la “doublure” qui le représentait…
B. H. : Oui, pour recevoir en quelque sorte la bénédiction de sa lignée. C’est alors pour cette personne un formidable bain de régénérescence ! Mais il arrive aussi que la personne ne puisse assumer de recevoir ce cadeau - c’est trop, ou trop tôt. On ne peut pas la forcer à actualiser en elle, sur l’instant, la fenêtre d’opportunité que la constellation a ouverte dans le champ de ses possibles.

N. C. : Est-ce pour bien marquer que l’ordre “normal”, ou “chronologique”, ou “ancestral”, a été retrouvé que vous tenez beaucoup, dit-on, à ce que les plus anciens bénissent leurs descendants en fin de constellation ?
B. H. : Oui. Lorsqu’un enfant s’incline devant son père et que celui-ci lui donne sa bénédiction, ils se remettent dans le courant de la vie et s’y soumettent. Le geste du père bénissant son fils va bien plus loin que leur simple relation interpersonnelle : de fait, c’est toute la lignée qui, par le père, reconnaît le fils. Le père ne sert en somme que d’intermédiaire. Je ne nie pas qu’il s’agit là d’un acte religieux, au sens le plus ancien de ce mot : il relie les vivants et les morts par un courant de conscience et d’amour. En ce sens, on peut dire que la constellation familiale a quelque chose d’une liturgie. C’est pourquoi il est si important de ne la pratiquer qu’avec graande connaissance et profond respect.


1.- Nous avons approché cette méthode dans le cadre d’un atelier coordonné par une psychothérapeute française, Marie-Thérèse Bal-Craquin.
2.-
Les travaux de Rupert Sheldrake, d’Une nouvelle science de la vie à Ces animaux qui attendent leurs maîtres, sont publiés aux éd. du Rocher.


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