Le trésor du baobab
Un jour de grande chaleur, un lièvre fit halte dans l'ombre d'un baobab, s'assit sur son train et, contemplant au loin la brousse bruissante sous le vent brûlant, il se sentit infiniment bien. « Baobab, pensa-t-il, comme ton ombre est fraîche et légère dans le brasier de midi ! » Il leva le museau vers les branches puissantes. Les feuilles se mirent à frissonner d'aise, heureuses des pensées amicales qui montaient vers elles. Le lièvre rit, les voyant contentes. Il resta un moment béat, puis clignant de l'œil et claquant de la langue, pris de malice joueuse :
- Certes, ton ombre est bonne, dit-il. Assurément meilleure que ton fruit. Je ne veux pas médire, mais celui qui me pend au-dessus de la tête m'a tout l'air d'une outre d'eau tiède.
Le baobab, dépité d'entendre ainsi douter de ses saveurs, après le compliment qui lui avait ouvert l'âme, se piqua au jeu. Il laissa tomber son fruit dans une touffe d'herbe. Le lièvre le flaira, le goûta, le trouva délicieux. Alors il le dévora, s'en pourlécha le museau, hocha la tête. Le grand arbre, impatient d'entendre son verdict, se retint de respirer.
- Ton fruit est bon, admit le lièvre.
Puis il sourit, repris par son allégresse taquine, et dit encore :
- Assurément il est meilleur que ton cœur. Pardonne ma franchise : ce cœur qui bat en toi me paraît plus dur qu'une pierre.
Le baobab, entendant ces paroles, se sentit envahi par une émotion qu'il n'avait jamais connue. Offrir à ce petit être ses beautés les plus secrètes, Dieu du ciel, il le désirait, mais tout à coup, quelle peur il avait de les dévoiler au grand jour ! Lentement il entrouvrit son écorce. Alors apparurent des perles en colliers, des pagnes brodés, des sandales fines, des bijoux d'or. Toutes ces merveilles qui emplissaient le cœur du baobab se déversèrent à profusion devant le lièvre dont le museau frémit et les yeux s'éblouirent.
- Merci, merci, tu es le meilleur et le plus bel arbre du monde, dit-il, riant comme un enfant comblé et ramassant fiévreusement le magnifique trésor.
Il s'en revint chez lui, l'échine lourde de tous ces biens. Sa femme l'accueillit avec une joie bondissante. Elle le déchargea à la hâte de son beau fardeau, revêtit pagnes et sandales, orna son cou de bijoux et sortit dans la brousse, impatiente de s'y faire admirer de ses compagnes.
Elle rencontra une hyène. Cette charognarde, éblouie par les enviables richesses qui lui venaient devant, s'en fut aussitôt à la tanière du lièvre et lui demanda où il avait trouvé ces ornements superbes dont son épouse était vêtue. L'autre lui conta ce qu'il avait dit et fait à l'ombre du baobab. La hyène y courut, les yeux allumés, avide des mêmes biens. Elle y joua le même jeu. Le baobab, que la joie du lièvre avait grandement réjoui, à nouveau se plut à donner sa fraîcheur, puis la musique de son feuillage, puis la saveur de son fruit, enfin la beauté de son cœur.
Mais, quand l'écorce se fendit, la hyène se jeta sur les merveilles offertes comme sur une proie, et fouillant des griffes et des crocs les profondeurs du grand arbre pour en arracher plus encore, elle se mit à gronder :
- Et dans tes entrailles, qu'y a-t-il ? Je veux aussi dévorer tes entrailles ! Je veux tout de toi, jusqu'à tes racines ! Je veux tout, entends-tu ?
Le baobab blessé, déchiré, pris d'effroi aussitôt se referma sur ses trésors et la hyène insatisfaite et rageuse s'en retourna bredouille vers la forêt.
Depuis ce jour elle cherche désespérément d'illusoires jouissances dans les bêtes mortes qu'elle rencontre, sans jamais entendre la brise simple qui apaise l'esprit. Quant au' baobab, il n'ouvre plus son cœur à personne. Il a peur. Il faut le comprendre : le mal qui lui fut fait est invisible, mais inguérissable.
En vérité, le cœur des hommes est semblable à celui de cet arbre prodigieux : empli de richesses et de bienfaits. Pourquoi s'ouvre-t-il si petitement, quand il s'ouvre ? De quelle hyène se souvient-il ?
Tiré de
« L’arbre aux trésors »
de Henri Gougaud, Ed du Seuil
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Les deux pots, dont l'un était fêlé
Une vieille dame chinoise
possédait deux grands pots, chacun
suspendu au bout d’une perche qu’elle transportait, appuyée derrière
son cou.
Un des pots était fêlé alors que l’autre pot était en
parfait état et rapportait toujours sa pleine ration d’eau.
A la fin de la longue marche du ruisseau vers la maison, le
pot fêlé, lui, n’était plus qu’à moitié rempli d’eau.
Tout ceci se déroula quotidiennement pendant deux
années complètes alors que la vieille dame ne rapportait chez elle
qu’un pot et
demi d’eau.
Bien sûr le pot intact était très fier de ce
qu’il accomplissait mais le pauvre pot fêlé avait honte de ses
propres
imperfections.
Le pot fêlé se sentait triste car il
ne pouvait faire que la moitié du travail pour lequel il avait été créé.
Après deux années de ce qu’il percevait comme un
échec, il s’adressa un jour à la vieille dame alors qu’ils étaient près
du
ruisseau.
« J’ai honte de moi-même parce que la fêlure sur
mon côté laisse l’eau s’échapper tout le long du chemin lors du retour
vers la
maison. »
La vieille dame sourit :
« As-tu remarqué qu’il y a des fleurs sur ton côté du chemin et qu’il n’y en a pas de l’autre côté ? J’ai toujours su à propos de ta fêlure, donc j’ai semé des graines de fleurs de ton côté du chemin et, chaque jour, lors du retour à la maison, tu les arrosais… Pendant deux ans, j’ai pu ainsi cueillir de superbes fleurs pour décorer la table. Sans toi, étant simplement tel que tu es, il n’aurait pu y avoir cette beauté pour agrémenter la nature et la maison. »
Chacun de nous avons nos propres manques, nos propres
fêlures mais ce sont chacun de ces manques qui rendent nos vies
ensemble
si intéressantes.
Chaque fêlure rend nos vies enrichissantes à trouver ce qu’elle a de bon en elle.
Auteur inconnu
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Les chevaux du destin
Un modeste
paysan vivait au
nord de la Chine, aux confins des steppes hantées par les hordes
nomades.
Il
rentra un jour de la foire
en sifflotant avec une superbe pouliche qu’il avait achetée à un prix
raisonnable, engloutissant tout de même cinq ans d’économies.
Quelques
jours plus tard, son
unique cheval, qui constituait tout son capital, s’échappa et disparut
vers la
frontière. L’événement fit le tour du village et les voisins vinrent
tour à
tour plaindre le fermier de sa malchance.
Il haussait les épaules et répondait imperturbablement :
-
Les nuages cachent le soleil,
mais apportent la pluie. D’un malheur naît parfois un bienfait. Nous
verrons.
Trois
mois plus tard, la
jument réapparut avec un magnifique étalon
sauvage caracolant à ses côtés. Elle était grosse. Les voisins
vinrent féliciter l’heureux
propriétaire :
-
Vous aviez raison d’être
optimiste. Vous perdez un cheval et vous en gagnez trois !
-
Les nuages apportent la pluie
nourricière, et parfois l’orage dévastateur. Le malheur se cache dans
les plis
du bonheur. Attendons.
Le fils
unique du paysan
dressa l’étalon fougueux et prit plaisir à le monter. Il ne tarda pas à
faire
une chute de cheval où il faillit se rompre le cou. Il s’en tira avec
une jambe
cassée.
Aux
voisins qui venaient à
nouveau lui chanter leur complainte, le philosophe campagnard
répondit :
-
Calamité ou bénédiction, qui
peut savoir ? Les changements n’ont pas de fin en ce monde
impermanent.
Quelques
jours plus tard, la
mobilisation générale fut décrétée dans tout le district pour repousser
une
invasion mongole. Tous les jeunes gens valides partirent combattre et
bien peu
regagnèrent leurs foyers. Mais le fils unique du paysan, grâce à
ses
béquilles, échappa au massacre.
Tiré des « Contes des sages taoïstes » , Pascal Fauliot, Ed du
seuil
Il était
une fois un homme
malheureux. Il aurait bien aimé
avoir dans
sa maison une
femme avenante et fidèle. Beaucoup
étaient
passées devant sa
porte, mais aucune ne s'était
arrêtée.
Par contre, les
corbeaux étaient tous pour son
champ, les
loups pour son
troupeau et les renards pour son
poulailler.
S'il jouait, il
perdait. S'il allait au bal, il pleuvait.
Et si
tombait une tuile du
toit, c'était juste au moment où il
était
dessous. Bref, il
n'avait pas de chance.
Un jour,
fatigué de souffrir
des injustices du sort, il s'en fut
demander
conseil à un ermite
qui vivait dans un bois derrière
son
village. En chemin, un
vol de canards laissa tomber sur
lui, du
haut du ciel, des
fientes, mais il n'y prit pas garde, il
avait
l'habitude. Quand il
parvint enfin, tout crotté, tout
puant, à la
clairière où
était sa cabane, le saint homme lui dit :
- Il n'y a
d'espoir qu'en
Dieu. Si tu n'as pas de chance, lui
seul peut
t'en donner. Va le
voir de ma part, je suis sûr qu'il
t'accordera
ce qui te
manque.
L'autre lui
répondit :
- J'y vais.
Salut l'ermite !
Il mit donc
son chapeau sur
la tête, son sac à l'épaule, la
route sous
ses pas, et s'en
alla chercher sa chance auprès de
Dieu, qui
vivait en ce
temps-là dans une grotte blanche, en
haut d'une
montagne
au-dessus des nuages.
Or en
chemin, comme il
traversait une vaste forêt, un tigre
lui apparut
au détour du
sentier. Il fut tant effrayé qu'il
tomba à
genoux en claquant
des dents et tremblant des
mains.
-
Épargne-moi, bête terrible,
lui dit-il. Je suis un malchanceux,
un homme
qu'il vaut mieux ne
pas trop fréquenter.
En vérité,
je ne suis pas
comestible. Si tu me dévorais,
probablement
qu'un os de ma
carcasse te trouerait le gosier.
- Bah, ne
crains rien, lui
répondit le tigre. Je n’ai pas
d'appétit.
Où vas-tu donc,
bonhomme ?
- Je vais
voir Dieu,
là-haut, sur sa montagne.
- Porte-lui
mon bonjour, dit
le tigre en bâillant. Et
demande-lui
pourquoi je n'ai
pas faim. Car si je continue à
n'avoir
goût de rien, je
serai mort avant qu'il soit longtemps.
Le voyageur
promit, bavarda
un moment des affaires du
monde avec
la grosse bête et
reprit son chemin.
Au soir de
ce jour, parvenu
dans une plaine verte, il
alluma son
feu sous un chêne
maigre. or, comme il
s'endormait,
il entendit
bruisser le feuillage au-dessus de sa
tête. Il
cria :
- Qui est
là ?
Une voix
répondit :
- C'est
moi, l'arbre. J'ai
peine à respirer. Regarde mes
frères sur
cette plaine. Ils
sont hauts, puissants, magnifiques.
Moi seul
suis tout chétif.
Je ne sais pas pourquoi.
- Je vais
visiter Dieu. Je
lui demanderai un remède pour toi.
- Merci,
voyageur, répondit l'arbre infirme.
L'homme au
matin se remit en
chemin. vers midi il arriva
en vue de
la montagne. Au
soir, à l'écart du sentier qui
grimpait
vers la cime, il vit
une maison parmi les rochers.
Elle était
presque en ruine.
Son toit était crevé, ses volets
grinçaient
au vent du
crépuscule. Il s'approcha du seuil, et
par la
porte entrouverte il
regarda dedans. Près de la
cheminée
une femme était
assise, la tête basse. Elle pleurait.
L'homme lui
demanda un abri
pour la nuit, puis il-lui dit :
- Pourquoi
êtes-vous si
chagrine ?
La femme
renifla, s'essuya
les yeux.
- Dieu seul
le sait,
répondit-elle.
- Si Dieu le sait, lui dit
I'homme, n'ayez crainte, je
I'interrogerai.
Dormez bien,
belle femme.
Elle haussa
les épaules.
Depuis un an la peine qu'elle avait
la tenait
éveillée tout au
long de ses nuits.
Le
lendemain, le voyageur
parvint à la grotte de Dieu. Elle
était ronde
et déserte. Au
milieu du plafond était un trou par
où tombait
la lumière du
ciel. L'homme s'en vint dessous.
Alors il
entendit :
- Mon fils,
que me veux-tu ?
- Seigneur,
je veux ma
chance.
- Pose-moi
trois questions,
mon fils, et tu I'auras. Elle
t'attend
déjà au pays d'où
tu viens.
- Merci,
Seigneur. Au pied
du mont est une femme triste.
Elle
pleure. Pourquoi ?
- Elle est
belle, elle est
jeune, il lui faut un époux.
- Seigneur,
sur mon chemin
j'ai rencontré un arbre bien
malade. De
quoi souffre-t-il
donc ?
- Un coffre
d'or empêche ses
racines d'aller chercher
profond le
terreau qu'il lui
faut pour vivre.
- Seigneur,
dans la forêt
est un tigre bizarre. Il n'a plus d'appétit.
- Qu'il
dévore I'homme le
plus sot du monde, et la santé lui reviendra.
- Seigneur,
bien le bonjour
!
L'homme
redescendit,
content, vers la vallée. Il vit la
femme en
larmes devant sa
porte. Il lui fit un grand signe.
- Belle
femme, dit-il, il te
faut un mari !
Elle lui
répondit :
- Entre
donc, voyageur. Ta
figure me plaît. Soyons
heureux
ensemble !
- Hé, je
n'ai pas le temps,
j'ai rendez-vous avec ma chance,
elle
m'attend, elle
m'attend !
Il la salua
d'un grand coup
de chapeau tournoyant dans le
ciel et
s'en alla en riant
et gambadant. Il arriva bientôt en vue
de I'arbre
maigre sur la
plaine. Il lui cria, de loin :
- un coffre
rempli d'or fait
souffrir tes racines. C'est Dieu
qui me I'a
dit !
L'arbre lui
répondit :
- Homme,
déterre-le. Tu
seras riche et moi je serai délivré !
- Hé, je
n'ai pas le temps,
j'ai rendez-vous avec ma chance,
elle
m'attend, elle
m'attend !
Il assura
son sac à son
épaule, entra dans la forêt avant la
nuit
tombée. Le tigre
I'attendait au milieu du chemin.
- Bonne
bête, voici : Tu
dois manger un homme. Pas
n'importe
lequel, le plus
sot qui soit au monde.
Le tigre
demanda :
- Comment
le reconnaître ?
- Je
l'ignore, dit I'autre.
Je ne peux faire mieux que de te
répéter les
paroles de Dieu,
comme je I'ai fait pour la femme et pour I'arbre.
- La femme ?
- Oui, la
femme. Elle
pleurait sans cesse. Elle était jeune
et belle.
Il lui fallait un
homme. Elle voulait de moi. Je
n'avais pas
le temps.
- Et
I'arbre ? dit le tigre.
- Un trésor
I'empêchait de
vivre. Il voulait que je I'en
délivre.
Mais je t'ai déjà
dit : je n'avais pas le temps. Je ne
I'ai
toujours pas. Adieu, je
suis pressé.
- Où vas-tu
donc ?
- Je
retourne chez moi. J'ai
rendez-vous avec ma chance.
Elle
m'attend, elle m'attend
!
- Un
instant, dit le tigre.
Qu'est-ce qu'un voyageur qui
court après
sa chance et
laisse au bord de son chemin une
femme
avenante et un trésor
enfoui ?
- Facile,
bonne bête,
répondit I'autre étourdiment. C'est
un sot. A
bien y réfléchir,
je ne vois pas comment on pourrait
être un sot
plus sot que ce
sot-là.
Ce fut son
dernier mot. Le
tigre enfin dîna de fort bon
appétit et
rendit grâce à
Dieu pour ses faveurs gratuites.
Tiré de « L’arbre d’amour et de sagesse » Henri Gougaud , Ed. du seuil
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L'arbre à deux branches (d'après un récit de la compagnie L'Oiseau-Tonnerre)
On raconte qu'il y
avait une fois un village au centre duquel se dressait un arbre
immense.
L'arbre, divisé en deux branches principales, portait des fruits toute
l'année,
sauf que personne n'avait jamais osé les manger. En effet, une ancienne
légende
disait que l'une des branches donnait des fruits empoisonnés alors que
l'autre
donnait les fruits les plus succulents du monde, mais personne ne se
souvenait
quelle branche était la bonne.
Une année vint où une terrible sécheresse s'abattit sur la région. Un homme qui n'avait plus rien à manger, et qui voyait son fils dépérir d'heure en heure, décida de tenter sa chance. Il choisit l'une des branches, goûta le fruit le plus proche, et survécut. Aussitôt le village prit un air de fête. Les habitants sortirent tous leurs paniers et leurs sacs pour les remplir de fruits. Une fois rassasiés, ils coupèrent la branche empoisonnée pour que personne ne puisse se tromper, et ils en firent un grand feu autour duquel ils chantèrent et dansèrent toute la nuit. Mais quand le jour se leva et que les villageois se réveillèrent, l'arbre miraculeux était mort.
On dit qu'à l'entrée du
paradis des dieux, il y a une grande porte entourée par un muret. Un
jour où un
important rassemblement des dieux fut décrété, Vishnou arriva en
premier, monté
sur son véhicule l'homme-oiseau Garuda. Son divin visage s'éclaira d'un
grand
sourire lorsqu'il aperçut un petit oiseau posé sur le muret. Il laissa
Garuda
près de la porte, et celui-ci put constater que tous les dieux, qui
arrivaient
à tour de rôle, souriaient en voyant l'oiseau.
Lorsque le dieu de la
mort se présenta à son tour et regarda le petit animal, Garuda fut pris
de
panique. Il était sûr qu'une fois le rassemblement terminé, le dieu de
la mort
emporterait avec lui ce frêle oiseau qu'il avait regardé avec tant
d'intensité.
Il décida donc de prendre l'oiseau sur son dos et de l'emporter aussi
loin que
possible. Il réussit à parcourir cinquante kilomètres avant d'être
obligé de
revenir chercher Vishnou.
Garuda mourait d'envie de raconter à Vishnou la bonne action qu'il venait d'accomplir, mais d'abord il demanda à son maître pourquoi les dieux semblaient apprécier cet oiseau à tel point qu'ils lui souriaient tous. Et Vishnou répondit que cela leur faisait simplement plaisir de voir ce bel oiseau à cet endroit car il était écrit qu'il devait mourir le jour même à cinquante kilomètres de là.
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Vider sa barque.
Le
duc de Lou avait fait un long périple pour venir demander un conseil
à Tchouang-tseu, le sage incomparable. Il le trouva dans une prairie,
tout
débraillé, jouant à la balle avec une bande d’enfants. Le taoïste aux
pieds nus
continua de jouer, se contentant de faire un signe au souverain pour
lui
indiquer qu’il ne pouvait interrompre la partie. Un jeu est chose
sérieuse pour
les enfants, comme chacun sait.
Connaissant
la réputation du sage excentrique, le souverain n’insista
pas. Il s’installa avec sa suite sur des pliants que des serviteurs
empressés
mirent à disposition et entreprit de pique-niquer.
A
la fin de la partie Tchouang-tseu, tout en s’épongeant le front avec
les pans de sa tunique, demanda au potentat quel était l’objet de sa
visite. Le
duc magnanime fit verser au sage un vin de pêche dans une timbale
d’argent et
lui expliqua.
-
Mon pays
de Lou est prospère, j’y fais régner l’ordre et la justice,
j’observe la morale et les rites ancestraux, et pourtant, j’entends
dire que
mes ministres me critiquent et que mon peuple est mécontent.
Le
sage huma longuement le précieux gobelet, dégusta à petites gorgées
le vin de pêche en se gargarisant bruyamment le gosier, et
répondit :
-
Si une
barque vide dérive au gré des courants et se dirige sur une
jonque, les bateliers, même les pires brutes, ne se fâcheront pas et
feront
tout pour l’éviter. Supposons maintenant que la même barque dérive avec
un
homme à bord. L’attitude des marins se fera différente. Même les plus
débonnaires pousseront des cris, gesticuleront, et si l’homme ne répond
pas,
s’il est endormi, ils se mettront en colère et l’insulteront. Si jamais
la
barque heurte le navire, ils seront capables de sauter dedans et de
flanquer
une correction à son passager. Si la barque est pleine, elle attire la
colère.
Si elle est vide, elle ne la provoque pas. Ainsi, si vous jetez
par-dessus bord
votre moi, vous traverserez le fleuve de la vie sans que nul s’oppose à
vous ni
cherche à vous nuire.
Et
en guise de conclusion, sans doute inspiré par le vin de pêche,
Tchouang-tseu improvisa ces vers :
A celui qui n’est plus
attaché à lui-même,
les formes et les êtres se
manifestent.
Dans ses mouvements, il est
comme l’eau,
insaisissable.
Au repos, il est comme un
écho,
un miroir.
Tiré des « Contes des sages taoïstes » , Pascal Fauliot, Ed du
seuil
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Deux fils
Une
ancienne légende arabe raconte qu'un sage homme vivait heureux avec sa
famille,
une épouse admirable et deux fils chéris. Un jour il dût entreprendre
un long
voyage de plusieurs jours, et pendant son absence un grave accident
provoqua la
mort de ses deux fils tant aimés.
La mère sentait son coeur lourd de douleur. Toutefois, étant une femme forte et sage, soutenue par la foi et la confiance en Dieu, elle supporta le drame avec bravoure et dignité.
Elle avait cependant une grande préoccupation à l'esprit : Comment annoncer la triste nouvelle à son mari ? Il avait le coeur fragile et elle avait peur qu'il ne supporte pas le choc. Alors se tournant vers Dieu, elle Lui demanda de l'aider à se sortir de cette triste situation.
Les jours passèrent et son mari rentra de voyage. Il embrassa son épouse et lui demanda des nouvelles de ses deux fils. Elle lui dit qu'ils auraient le temps d'en parler à dîner, mais qu'il prenne d'abord un bon bain.
Après le bain, à table, elle lui demanda comment s'était passé son voyage. Mais il lui demanda encore des nouvelles de ses fils. L'épouse embarrassée lui répondit :
- Laisse les garçons. Avant je voudrais que tu m'aides à résoudre un problème qui me parait très important.
- Alors, parle, nous allons résoudre ce problème ensemble, lui dit le sage homme.
- Quand tu étais absent, un ami est passé nous rendre visite et nous a
laissé
en garde deux bijoux d'une valeur inestimable, mais ces bijoux sont si
merveilleux, que je m'y suis attachée et je n'ai pas très envie de les
lui
rendre, qu'en penses-tu ?
Le mari lui répondit :
- Je ne comprends pas ton comportement. Tu n'as jamais été attirée par ces choses d'apparat, et combien même tu le serais, ces bijoux ne t'appartiennent pas et tu dois les rendre.
- Mais je n'arrive pas à me faire à l'idée de les perdre, lui répondit l'épouse.
Le mari lui rétorqua :
- On ne peut pas perdre ce que l'on n'a jamais possédé. Tu vas rendre ces bijoux, nous allons le faire ensemble aujourd'hui même.
Sa femme lui répondit :
- Très bien mon époux, qu'il soit fait comme tu le veux. Les deux merveilleux bijoux seront rendus à celui qui nous les avait confiés. En vérité c'est déjà fait, car ces bijoux inestimables étaient nos deux fils tant aimés, que Dieu a rappelés à lui.
Le sage homme comprit le message, enlaça sa femme, et sans désespoir ni révolte ils laissèrent couler leurs larmes.
Anonyme
( source
)
L'anneau d'or
Un écolier vint
trouver son professeur pour lui parler d'un problème :
- Je viens vous
voir, car je n'ai pas la force d'affronter mon problème tout seul. Ils disent
que je ne
sers à rien, que
je ne fais rien de bien, que je suis bête et idiot. Comment puis-je devenir
meilleur ? Que puis-je faire pour qu'on m'apprécie ?
Le professeur,
sans lui jeter un regard, lui dit :
- Je suis
vraiment désolé mon garçon. Pour l'instant, je dois résoudre mon propre
problème.
Ensuite,
peut-être...
Faisant une
pause, il dit :
- Si tu m'aides
à résoudre mon problème rapidement, je pourrai peut-être ensuite t'aider à
résoudre le tien.
- Bien sûr,
professeur, dit le garçon. Mais il se sentit aussitôt dévalorisé.
Le professeur ôta
un anneau de son petit doigt et lui dit :
- Prends ton
cheval et va sur le marché. Tu devras vendre cet anneau pour moi car je dois
rembourser une
dette. Evidemment, tu devras en obtenir le maximum, mais ne le vends surtout
pas en dessous d'une pièce d'or. Va et reviens avec l'argent le plus rapidement
possible.
Le garçon prit
l'anneau et s'en alla. Quand il arriva sur le marché, il commença à le proposer
aux
marchands. Ils
paraissaient très intéressés et attendaient de savoir combien le jeune garçon
en
demandait. Dès
qu'il parlait de la pièce d'or, certains éclataient de rire, d'autres partaient
sans
même le
regarder. Seul un vieillard fut assez aimable pour lui expliquer qu'une pièce
d'or avait
beaucoup trop de
valeur pour acheter une bague. Voulant aider le jeune garçon, on lui proposa
une pièce de
bronze, puis une pièce d'argent. Mais le garçon suivait les instructions de son
professeur de ne
rien accepter en dessous d'une pièce d'or, et déclina toutes les offres.
Après avoir
proposé le bijou à tous les passants du marché, et abattu par son échec
cuisant, il
remonta sur son
cheval et rentra. Le jeune garçon aurait voulu avoir une pièce d'or pour
acheter
lui-même cet
anneau, libérant ainsi son professeur afin qu'il puisse ainsi lui venir en aide
à son tour avec ses conseils.
Il arriva vers le
professeur et lui dit :
- Professeur, je
suis désolé, mais je n'ai pas réussi à obtenir ce que vous m'aviez demandé.
J'aurais pu récupérer 2 ou 3 pièces d'argent, mais je crois que l'on ne peut
pas tromper quelqu'un sur la valeur de cette bague.
- C'est très
important ce que tu me dis, mon garçon, rétorqua le professeur en souriant.
Tout
d'abord, nous
devons connaître la vraie valeur de cet anneau. Remonte à cheval et va chez le
joaillier. Qui
mieux que lui connaîtra sa vraie valeur ? Mais peu importe ce qu'il t'en
offrira, ne le
vends pas.
Reviens ici avec mon anneau.
Le garçon alla
trouver le joaillier et lui tendit l'anneau pour qu'il l'examine. Le joaillier
le scruta à
la loupe, le
pesa et lui dit :
- Dis à ton
professeur que, s'il veut le vendre aujourd'hui, je ne peux lui donner que 58
pièces d'or.
- 58 pièces d'or
!! S'exclama le jeune garçon.
- Oui, répondit
le joaillier, et je crois que dans quelque temps, je pourrai lui en offrir 70.
Mais si la
vente est
urgente...
Le garçon courut
tout excité chez le professeur pour lui raconter ce qui s'était passé. Le
professeur le
fit asseoir et, après avoir écouté l'enfant, il lui dit :
- Tu es comme
cet anneau d'or, un joyau de grande valeur et unique. Seulement, sa valeur ne
peut être reconnue que par un spécialiste. Tu pensais que n'importe qui pouvait
découvrir sa vraie valeur ?
Tout en parlant,
il remit son anneau à son doigt :
- Nous sommes
tous comme ce bijou. D'une très grande valeur et uniques. Et nous allons sur
tous les marchés de la vie en espérant que des personnes inexpérimentées
reconnaissent notre valeur.
Anonyme